1497 - La souffrance sculptée

N. Lygeros

La souffrance doit être décrite pour être comprise et il existe différentes façons de le faire. Pour le problème chypriote, nombreux ont été ceux qui l’ont découvert à travers le chant de Dalaras. Sans sa voix, le problème chypriote ne se serait pas étendu sur l’ensemble de l’hellénisme à travers le monde. Il a su donner une envergure à ce problème humain, à ce crime de guerre. Pour atteindre la profondeur de cette souffrance il faut des mains pour creuser le bois et le tremper d’encre noire, la seule couleur permise. Ces mains appartiennent à Hambis. C’est grâce à elles que la souffrance a été sculptée pour être vue.

Ses œuvres les plus caractéristiques à nos yeux aussi bien de son travail en tant que créateur que de la profondeur de cette déchirure humaine datent de 1976 c’est-à-dire à peine deux ans après l’invasion turque de l’île de Chypre en 1974.

L’arrestation (1976) fige l’instant de la perte de la liberté, l’instant de la remise en question, l’instant de la remise en cause de la vie. Nous ne voyons que les victimes pourtant les bourreaux sont perceptibles à travers leurs regards.

Les otages (1976) n’ont pas de regards car ils ont les yeux bandés. Leurs mains liées dans le dos montrent leur impuissance devant cette tragédie. Cependant même les yeux bandés, même les mains liées, les otages restent des hommes. Peut-être même qu’ils sont trop humains. Car ils restent debout malgré tout, malgré la souffrance et la fatigue.

L’emprisonnement (1976) est certes la suite de cette logique implacable de l’invasion et de l’occupation turque de la patrie du sculpteur. Mais c’est aussi le lieu où les hommes se retrouvent unis dans la même tourmente, séparés des leurs mais encore résistants. Ils pourraient être misérables mais leur dignité représente un danger pour le régime en place. Les barreaux ne peuvent protéger les bourreaux.

Les réfugiés (1976) montrent les autres éléments de la population chypriote. Ceux qui vivent désormais en exil sur leur propre patrie. Ceux qui ne peuvent voir la terre de leurs ancêtres. Ceux qui n’ont plus que le passé comme avenir. Tout est là et pourtant nous ne voyons rien. Car ils ne possèdent plus rien pas même leur vie. Ces œuvres montrent à quel point il existe une continuation dans l’œuvre de destruction engagée par le régime militaire turc. Ces hommes et ces femmes pourraient être les enfants des rescapés du génocide arménien. Ils continuent à vivre la même souffrance car ils n’ont pas eu le droit de mourir. Ils doivent vivre l’oubli car les autres, ceux qui appartiennent à la diplomatie, les ont oubliés au profit d’autres paramètres beaucoup plus lucratifs. Cependant Hambis à travers sa sculpture n’oublie pas, il accuse afin que l’avenir s’occupe du passé, afin que cette tragédie cesse mais sans être oubliée. C’est en ce sens que la souffrance sculptée touche l’humanité des hommes. Elle montre la dignité et la résistance des peuples de la mémoire.