1410 - Les langues coupées

N. Lygeros

Dans la région du Pont-Euxin, de nombreux endroits se souviennent de la barbarie turque. Les Arméniens sont encore présents dans la mémoire des murs. Les maisons ou plutôt ce qui en reste, gardent la marque des traitements inhumains que ce peuple a subi et ce, uniquement pour une raison raciale. Les Pontiques, il est vrai dans une moindre mesure, ont eux aussi laissé des traces de leur souffrance au bord de la Mer Noire. Et depuis, il est plus juste de parler de la Mer Noire que du Pont-Euxin car tant que le génocide ne sera pas reconnu, il faudra qu’elle porte le deuil de ces victimes de l’intolérance raciale. Cependant dans cette région, la souffrance est bien plus grande que nous ne l’imaginons. D’autres peuples se sont emmurés dans le silence, comme si ce dernier était le seul à pouvoir supporter l’indicible horreur qui les avait frappés.

Bien souvent, par faute d’éléments historiques ou par volonté diplomatique, nous ne mesurons l’envergure de la barbarie turque qu’au niveau racial sans lui donner véritablement une dimension religieuse. Pourtant les évènements existent et il suffit de se pencher sur certains documents pour nous rendre compte combien nous sommes dans l’erreur. Car dans la région du Pont-Euxin, il existait autrefois une peuplade turcophone mais catholique. Plus personne n’en garde le souvenir en Europe et pourtant son existence et sa disparition sont tout-à-fait révélatrices de l’ignominie de la barbarie turque. Cette peuplade dont les traces ne se retrouvent que dans certaines danses traditionnelles pontiques n’a pas été exterminée de manière classique. Comme elle ne se différenciait que par la religion et non la langue, son histoire était accessible à l’ensemble de la population aussi les Turcs prirent une décision impensable dans un cadre humain. Et cette décision fut appliquée à la lettre. Ils tranchèrent la langue à chaque membre de cette peuplade afin qu’elle ne puisse parler de sa religion. Qui pourrait penser de nos jours que la barbarie turque ait pu se livrer à cette ignominie au nom de la religion ? Sans doute personne et c’est pour cette raison que nous devons parler au nom de cette peuplade. Car même les catholiques n’ont connaissance de son existence et du martyre qu’elle a souffert. Pourtant l’histoire est là car des hommes ont décidé de ne pas oublier et d’écrire pour elle afin que sa souffrance protège les autres peuples.

La barbarie turque ne se limite pas à un problème d’ordre national, elle est aussi d’ordre raciste et religieux. Et ces composantes sont bien plus terribles car elles ne dépendent pas directement des politiques. Elles traversent les siècles pour défendre l’entité turque de toutes les déviations possibles. Nous ne pouvons plus nous taire contre ces crimes contre l’humanité et accepter l’intolérable. Il ne suffit plus de s’en remettre à l’histoire. Nous devons juger et condamner ces actes qui blessent notre propre humanité.