1384 - Une question de dignité

N. Lygeros

Avec l’initiative prise par la France dans le domaine de la reconnaissance officielle de Chypre par la Turquie, le changement de politique vis-à-vis de la question orientale est de plus en plus visible. Pour preuve, le récent entretien donné par Patrick Devedjian en tant que conseiller politique. L’ancien ministre de l’industrie est très clair. Il explicite sa position avec la plus grande des fermetés. Cette liberté de parole est rare en politique et elle provient toujours de l’indépendance ou de la conscience d’avoir des appuis. Sans rechercher à trancher, nous nous contenterons d’analyser certains de ces propos au sujet de la question orientale. A la question suivante : La demande faite par Dominique de Villepin à la Turquie de reconnaître Chypre va-t-elle dans le bon sens ? Il répond de manière limpide : Oui, mais c’est un revirement total de l’ancien ministre des Affaires étrangères. Il ne se contente donc pas de saluer le geste. Il explicite le changement et l’explique par la politique nationale. Néanmoins et c’est l’aspect le plus important de sa réponse, il va beaucoup plus loin puisqu’il affirme : « La simple décence voudrait que la Turquie cesse toute occupation militaire avant d’ouvrir les discussions d’adhésion. » C’est la première fois qu’il est fait officiellement mention de la présence de l’armée d’occupation turque sur l’île de Chypre. Cette armée représente 40.000 hommes de troupe qui relativement à l’étendue de la zone occupée depuis 1974 à la suite des deux vagues d’invasion dont le nom de code était Attila I et Attila II, constitue le record mondial de densité militaire. Officiellement cette armée d’occupation est sensée appartenir à une force de garantie pour la paix. En réalité, c’est un moyen de contrôler la partie septentrionale de l’île de Chypre et de pouvoir coloniser massivement cette partie. Même si cela représente un crime de guerre imprescriptible, la présence de l’armée est un soutien essentiel au pseudo-état et à ses institutions qui sont illégaux comme l’indiquent les résolutions des Nations-Unies. Aussi nous voyons l’importance des propos de Patrick Devedjian dans ce contexte. Celui-ci précise d’ailleurs sa pensée en répondant cette fois à la question : Est-ce que cette demande a la moindre chance d’être suivie d’effet ? « Si Angela Merkel est élue en Allemagne, je pense que Paris et Berlin pourront se mettre d’accord pour demander aux Turcs de retirer leur armée avant toute discussion. Ce serait un acte de dignité. Aujourd’hui, il existe en Europe un dernier mur de la honte, il est à Nicosie. » Le ton surprend sans doute mais il correspond à la réalité. C’est une réalité que vivent au quotidien les familles de 1619 disparus, les enclavés qui étaient 20.000 en 1974 et désormais 390, les 200.000 réfugiés et l’ensemble de la population chypriote. Chypre est à présent un Etat-membre à part entière de l’Union Européenne et rien ne justifie la présence de l’armée d’occupation turque sur son territoire. Il est de plus inconsistant d’avoir un pays extérieur à l’Union Européenne qui prétende agir au nom de la paix au sein de celle-ci et à l’encontre de sa population. La diplomatie française va effectivement dans le bon sens et la France prend peu à peu conscience de la souffrance du peuple chypriote seulement la lutte sera longue avant qu’elle puisse vivre libre au sein de l’Union Européenne comme chacun des Etats-membres de celle-ci.