1314 - Etude et interprétation en musique classique

N. Lygeros

Bien que la partition constitue le médium essentiel entre le compositeur et l’interprète, elle n’en demeure pas moins une projection pratique de sa mentation. Elle ne peut constituer un isomorphisme que dans le cas extrêmement particulier où le compositeur s’identifie à l’interprète. Cependant même dans ce cas, l’isomorphisme n’est pas intrinsèque mais extrinsèque à la partition car celle-ci est jouée avec le bagage intellectuel du compositeur et l’habileté de l’interprète. Aussi si ce dernier ne veut pas être simplement un exécutant ou un homme du rang pour ne pas dire un pupitre d’orchestre, il doit s’efforcer d’enrichir les notes de la partition à l’aide d’une contextualisation actuelle qui se réduit initialement au mode opératoire de la création de l’œuvre et qui se complète par la suite par la tradition des interprétations successives qui évoluent à travers le temps grâce à de plus amples connaissances acquises via des recherches musicologiques. Ce cadre général est particulièrement important pour des œuvres qui ont plusieurs mouvements car cette fois il existe aussi des références internes grâce à des leitmotive conséquents. Au sein d’eux, spécialement dans les moments lents nous pouvons identifier des schémas mentaux structurels qui annoncent des parties plus rapides qui seront exploitées par la virtuosité de l’interprète. Cependant ces parties lorsqu’elles sont incorporées dans le mouvement, doivent être jouées de manière totalement différente car il faut utiliser la moindre nuance, la moindre expression de façon à toucher l’auditeur via la sobriété du jeu. La douceur du toucher doit annoncer la puissance expressive du mouvement rapide. De plus le mouvement permet pour ainsi dire d’effectuer une analyse de type Fourier de l’ensemble structurel de la partition afin de saisir les éléments constitutifs de la composition. Nous retrouvons d’ailleurs des précisions sur la manière d’interpréter ces endroits dans la partition comme c’est le cas dans les Impromptus de Chopin. Ainsi le compositeur donne une indication fondamentale pour l’interprétation puisque cela lui permet de déchiffrer plus précisément et surtout plus fidèlement son langage, fait qui différentie radicalement la musique de la littérature. Cette indication doit être systématiquement assurée afin de ne pas tomber dans le piège de l’identification fallacieuse. Grâce à ce type d’acquis l’interprète peut reconstituer ou même reconstruire la structure. Via sa fonctionnalité l’interprète analyse plus finement la pensée du compositeur. D’où l’intérêt d’avoir des enregistrements du compositeur lui-même non pas pour servir de modèle mais de point de référence. Car la technicité ne suffit pas, il faut aussi la puissance de l’interprétation qui ne doit être ni neutre ni désinformante par rapport au contenu initial de la partition. Cela permet ainsi d’éviter la confusion des genres qui engendre un amalgame interprétatif inintelligible. La partition est donc perçue comme un code qui doit être brisé pour être ensuite seulement, interprétée. Il ne s’agit plus d’un simple déchiffrage mais d’un véritable déchiffrement de l’opus.