1258 - Sur le mètre français

N. Lygeros

Il est vrai que l’étude du mètre grec ou latin peut être étendue à la langue française néanmoins il est nécessaire d’avoir conscience qu’il s’agit d’une part d’un cas extrême et d’autre part d’un cas dégénéré. En effet le système métrique français s’est tellement simplifié qu’il en est essentiellement réduit à un comptage de syllabes i.e. le nombre de pieds des vers. Il est pourtant évident que nous observons encore des différences puisque les diphtongues existent et que nous avons aussi des sons muets. Certes ces traces sont avant tout orthographiques et c’est sans doute une des raisons de la nécessité de la rime. Celle-ci, introduite en Grèce par les Francs, a peu à peu remplacé le vers trihémistiche au point de devenir le vers politique de 15 pieds. En France, cette structure métrique est plus ancienne et nous la retrouvons naturellement dans le vers octosyllabe et dans l’alexandrin. La disparition du système métrique classique a influencé la structure du vers puisque celui-ci est désormais découpé en parties égales afin d’être identifiable prosodiquement parlant. La césure représente de plus une trace plus ancienne et elle peut être associée à d’autres segments. Nous avons donc dans le distique suivant deux formes classiques :

Je meurs, j’ai fait couler || dans mes brûlantes veines
Un poison | que Médée || apporta | dans Athènes

Certains spécialistes pensent même qu’au sein de l’hémistiche nous avons du point de vue rythmique deux anapestes. Cela peut paraître quelque peu extrême mais cela prouve en tout cas l’existence d’une influence alors que les traces palpables sont rares.

Cet ensemble structurel montre de manière indirecte la nécessité du passage au système via le mètre. L’élément de base n’est plus le vers en lui-même mais le système qui se dégage à travers l’ensemble des vers comme dans la poésie de Sappho. Il n’est donc pas étonnant que nous ayons vu apparaître des formes comme le sonnet et ses variantes. Cela explique aussi à travers la rime l’existence de la structure plate, croisée et embrassée. Et la rime elle-même est qualifiante puisqu’elle peut être riche ou pauvre.

Nous nous rendons compte via cette analyse que la complexité du mot évolue pour devenir celle de la phrase et pour aboutir à celle du système. Cette évolution suit aussi celle de la langue lorsqu’elle provient d’une structure flexionnelle. La présence de la flexion du mot offre de nombreuses possibilités du point de vue combinatoire dans la phrase. Alors que la disparition de la flexion entraîne une rigidification de la phrase afin que celle-ci soit compréhensible. De même, la notion de paragraphe qui développe une idée, du paragraphe cartésien en d’autres termes, peut être considéré comme une extension noétique du système formel de la prosodie. Plus formellement encore, il s’agit d’une transformation qui provient de la réduction des contraintes locales et qui engendre une contrainte globale afin de conserver des éléments structurels. Nous passons donc à travers cette évolution, d’une analyse locale à une analyse globale.