983 - L’argument européen

N. Lygeros

L’argument géographique et historique sur lequel est fondée la candidature de la Turquie consiste en la mise en évidence de la partie européenne de celle-ci. Pour cela, l’histoire choisie nous parle de la partie orientale de la Thrace qui appartient actuellement à la Turquie. Via ce biais, cette dernière tente d’aliéner son image afin de la rendre civilisée au sens européen du terme. Ici nous voulons démontrer l’aspect fallacieux de cet argument.

Pour cela il est inutile d’avancer le cas chypriote et faire remarquer que la politique de colonisation forcenée des territoires occupés, qui représente un crime de guerre pour le droit international, ne peut permettre d’affirmer qu’en raison de l’invasion turque de l’île en 1974 et de l’entrée de celle-ci à part entière dans l’Union Européenne, la légitimité de la candidature turque. Non, nous nous contenterons du traité de Lausanne de 1923 qui explique largement la politique adoptée dans cette région.

L’histoire de la région remonte bien évidemment beaucoup plus dans le temps mais le résultat combiné du traité de Sèvres et du traité de Lausanne a tellement modifié sa nature qu’il est opportun de le considérer comme un changement de phase critique. Les échanges de population qui ont été effectuées de manière massive ont permis de facto à la Turquie de purifier, selon les propres termes des Jeunes Turcs, sa population. Car il s’agissait de la continuation du génocide des Arméniens de 1915, du génocide des Pontiques de 1918 et du génocide des Smyrniotes de 1922. À l’époque l’expression purification ethnique n’était qu’une arme de guerre comme une autre. La seule exception à ces déplacements massifs fut l’ensemble constitué par la ville de Constantinople et les îles de Ténédos et Imvros. Pour cet ensemble exceptionnel, la population grecque qui s’élevait à 150.000 personnes, avait la possibilité de s’autogérer.

La réalité est tout autre. Désormais, il ne reste globalement que 2500 personnes et les îles sont pour ainsi dire désertées par les Grecs, grandement facilité dans cette tâche par la série de dégradations, de vols, de viols, de tabassages organisés, ainsi que par l’établissement d’une prison à structure ouverte qui permet aux détenus turcs d’être libres de leurs mouvements sur l’île d’Imvros. Il est évident que l’évolution de la région tout au long de ces années, est pour ainsi dire inconnue à l’ensemble des européens. Aussi sans savoir que les droits de l’homme qui nous sont si chers en France, sont bafoués, comment ne pas tomber dans le piège de l’argument européen avancé par les Turcs. Pourtant la solution serait simple. Il suffirait d’agir comme nous l’avons fait avec la Slovénie par rapport à la Yougoslavie. Si cette partie de la Turquie est véritablement européenne, pourquoi ne pas l’intégrer dans l’Union Européenne indépendamment du reste de la Turquie qui appartient au continent asiatique. Cela nous permettrait en tant qu’européen de savoir combien la Turquie est attachée aux principes que nous défendons. Seulement si cela se produisait via l’Union Européenne cette région des Balkans retrouverait son statut d’avant le traité de Lausanne et cela nous le savons, via la géostratégie, est tout simplement inenvisageable par cet étrange candidat que représente cette partie du monde que nous nommons aussi l’Asie mineure.