939 - De la couleur comme indicateur spatial

N. Lygeros

En peinture surtout dans le domaine classique, il n’est pas rare de voir la domination de la structure géométrique dans le tableau afin de gérer les frontières.Tandis que dans la peinture abstraite ce principe a systématiquement été remis en cause par Serge Poliakoff. Celui-ci a mis en avant la puissance de la couleur via une phrase qui est considérée comme sa crédo, à savoir : « La couleur qui désormais définit l’espace ». Pour parvenir à cela, il a éliminé le trait qui délimite les zones en absorbant ce dernier par les formes des couleurs, appliquant ainsi un autre de ses principes beaucoup plus abstrait celui-là : « Enlever, c’est ajouter » qu’il faut bien sûr comprendre dans le sens suivant : L’élimination du superflus ajoute de la valeur à l’objet.

Ainsi la géométrie, du moins dans un tableau de peinture peut provenir de la topologie chromatique. De manière quelque peu plus formelle, c’est ce que nous trouvons dans l’analyse fractale. En effet notre connaissance des entités découvertes par Julia et Fatou s’est considérablement développée à partir d’une part des réalisations géométriques obtenues sur ordinateur et d’autre part par la couleur qui a été la révélatrice de la dynamique de leurs structures. La couleur en tant qu’indicateur spatial peut permettre la visualisation de dimensions spatiales invisibles ou inaccessibles autrement que par le codage chromatique, fait qui étend son domaine à des espaces de phase ou encore des espaces multidimentionnels. Nous retrouvons dans cette idée le fait que la couleur dans la peinture peut aussi être un élément qui caractérise la profondeur. Ceci peut être obtenu d’une part par un procédé de mélange mais aussi de transparence, et d’autre part par le positionnement des différentes couleurs dans l’espace du tableau. En effet l’opposition des couleurs permet de créer des jeux d’ombres qui sont par la suite interprétées comme des éléments de l’espace à trois dimensions.

Via ces procédés nous voyons que la couleur loin d’être un élément décoratif placé a posteriori dans l’esquisse de l’ouvre, est suffisamment puissante pour supporter l’essentiel de la structure. Elle n’est pas non plus un simple traitement de la texture comme nous pouvons le constater dans son épaisseur via l’ouvre de Van Gogh. Et dans ce sens nous pouvons affirmer que la « couleur est espace » pour aller dans le sens de Poliakoff sans oublier pour autant que cet espace peut aussi avoir une nature temporelle, comme nous pouvons le discerner dans l’expression, la patine du temps. Cet élément est sans doute plus classique puisque par nécessité les tableaux classiques traitent du temps à travers le thème ; mais le subissent aussi, ainsi que le met en évidence le travail de restauration d’exposition et en particulier le traitement des craquelures de la peinture en tant que matière La couleur apparaît donc comme une matière à penser l’espace c’est-à-dire à le concevoir même lorsque les éléments géométriques directs de celui-ci ne sont pas accessibles. Elle représente ainsi un véritable outil pour le maître.