9305 - Le manuscrit espagnol anonyme

N. Lygeros

Leur présence dans la Vieille Ville n’était pas due au hasard. Loin de là et cela pour deux raisons tout aussi importantes. C’était là que le Chevalier devait voir un autre de ses précieux amis, spécialiste des airs, surnommé le Profond. Ce dernier lui avait donné ce rendez-vous pour étudier une nouvelle approche de la protection du territoire, tout près des lignes ennemies. L’autre raison était relative à un manuscrit espagnol anonyme que lui avait offert son ami, le page. L’ouvrage concernait la bataille de Lépante, mais comme le disait si bien son auteur, il revenait en arrière dans le temps pour mieux expliquer les circonstances de la fameuse bataille. Pour mettre en place le décor, il s’enfonçait dans la Vieille Ville juste avant la perte vénitienne. Ils se trouvaient donc à l’endroit exact de la bataille. Le Profond était silencieux comme s’il n’osait pas dire au Chevalier l’ensemble des problèmes qui le préoccupaient. Aussi son ami fit le premier pas, sans pour autant lui parler du manuscrit, pour ne pas le blesser. Le Profond écouta attentivement les nouvelles de l’autre front. Puis il poursuivit dans le même sens afin de donner tous les éléments au Chevalier. Pendant ce temps, la bibliothécaire songeait à la fin du siège et au sacrifice de la noble dame qui pour échapper à l’esclavage avait mis le feu aux munitions de la nave qui l’emportait. L’explosion provoquée détruisit les deux autres navires en vue de l’île. Les batailles s’enchevêtraient dans son esprit. Elle avait l’impression de saisir maintenant l’épaisseur temporelle dont parlait souvent son Maître. Tout était donc bien plus complexe que ce que la société appelait la réalité. La noosphère du Maître englobait bien plus d’éléments de stratégie diachronique. Ainsi même son approche des schémas contemporains en était enrichie. Plus rien ne ressemblait à sa vision du passé. Elle comprit pourquoi il attachait tellement d’importance à certains bâtiments anciens. En réalité, il revenait simplement chez lui car dans le même espace il touchait toute l’épaisseur temporelle. Il ne venait pas donc, il revenait. Le changement de ton du Profond interrompit brusquement ses pensées. Il était en train d’expliquer les difficultés locales qui l’empêchaient d’être dans les temps. Cependant le chevalier lui précisa à nouveau que le temps était avec eux et cela le réconforta. Il faisait confiance à la vision stratégique du Maître. Il passa donc le cap des difficultés à la manière de Vasco de Gama, pensa-t-elle, et mit au point certains détails dans les manœuvres qu’il faudrait suivre par la suite. Un bruit extérieur rappela la proximité des lignes ennemies. Cependant ni le Profond ni le Chevalier ne sursautèrent. Seule la bibliothécaire osa regarder par la fenêtre pour découvrir un étrange minaret qui n’existait qu’après la prise de la Vieille Ville. C’était le temps du retour. C’était écrit.