813 - De la couleur comme élément temporel

N. Lygeros

Bien que la fascination de la couleur soit présente chez tout homme voyant, son apport est bien souvent perçu comme une simple distraction ou même une digression dans le déroulement du quotidien. Nous pensons pour notre part que la richesse de la couleur provient de son ancrage dans le temps et de son indépendance vis-à-vis du quotidien. Même en peinture l’utilisation de la couleur ne provient pas d’une volonté de réalisme même s’il peut être abstrait. La couleur en peinture est une essence en soi. Ainsi son traitement est fondamental si l’on ne veut pas la dénaturer. Comme elle porte en elle les marques d’un temps distant, elle peut nous sembler quelque peu intemporelle. En réalité, il n’en est rien, la couleur est révélatrice du temps ainsi que de la culture de ce dernier. Une toile crée un champ temporel. Close spatialement, elle nécessite d’y compresser le temps avant de l’examiner. La couleur permet de s’échapper des contraintes spatiales car elle peut apporter une interprétation. Son caractère paradoxal provient aussi de son enfoncement dans notre lointain. Il est révélateur que toutes les cosmogonies de ce monde utilisent une débauche de couleurs pour exprimer l’acte de création. Comme si la nécessité de création passait nécessairement par l’utilisation de la couleur lorsqu’il s’agit de concevoir le monde. Le mélange mais aussi la texture de la couleur est tout aussi importante comme nous pouvons le constater dans la peinture de Van Gogh. Elles donnent à la couleur une dimension spatiale supplémentaire comme si l’univers clos des deux dimensions ne pouvait supporter sa gravité. La couleur peut aussi bien servir la création individuelle que la mémoire collective. Elle marque l’histoire de son sang. C’est pour cela qu’il se dégage des sanguines une puissance d’expression insoupçonnée. Et il est de même pour la peinture au couteau qui parfois peut être interprétée comme la continuation de la calligraphie formelle. A l’instar du mot qui est chargé d’histoire, la couleur comporte des éléments culturels fondamentaux. Ceux-ci sont plus visibles lorsqu’ils appartiennent au passé mais ils peuvent aussi être les annonciateurs du futur pictural. Aussi la couleur, loin d’être un élément secondaire, semble posséder la primalité de notre codification visuelle et via cela des schémas mentaux primordiaux que nous devons nous efforcer de découvrir.