773 - Les esclaves de la terre

N. Lygeros
Traduit du Grec par l'auteur

Autrefois nous étions tous ensemble. Alors, nous ne savions pas ce que signifiait le mot expatriation. Depuis des siècles nous vivions sur notre territoire. Nos villages avaient été cloués sur cette terre le jour où les hirondelles noires avaient volé. Nous connaissions tous la légende, seulement aucun d’entre nous n’avait vu d’hirondelle noire de toute sa vie. Les anciens nous expliquaient que nous ne les verrions qu’au dernier moment. Les années passant, petit à petit, nous avons oublié leurs paroles énigmatiques. Même la nuit nous avions les étoiles pour nous protéger du voile noir. Mais cette année-là, le blanc de l’hiver fut plus rude. Nous n’y avons pas prêté attention à ce moment-là mais maintenant il reste gravé dans notre mémoire à jamais. Même blessé le printemps n’a pas tardé. Sans que nous le sachions, tous les éléments s’étaient unis pour nous prévenir. En vain !

Et avec l’été lumineux arriva l’étranger. Des hirondelles noires l’accompagnaient mais personne n’y fit attention. L’étranger était blessé. Ses vêtements étaient déchirés mais il avait sur lui des munitions. Il venait du front. Il appartenait aux forces spéciales et nos ennemis avaient éliminé son unité. Quelqu’un les avait renseignés. L’étranger portait sur lui les marques du feu. Une bombe clandestine lui avait brûlé le flanc mais n’avait pas atteint son courage ni son sourire triste. Il nous dit qu’il fallait partir le plus vite possible. Les ennemis raseraient nos villages.

Aucun d’entre nous ne le crut jusqu’à ce qu’un vieillard nous montre les hirondelles noires qui volaient vers le sud. Nous avons pris nos affaires et nous avons laissé nos maisons là-bas. Nous avons pris le chemin de l’exil dans notre propre patrie. Mais il n’existait pas de terre pour nous recevoir. Nous étions des étrangers pour les autres. Notre terre pleurait, nos enfants avec, mais personne ne voulait de nous. Nous n’avions plus rien. Nous avions laissé tous nos biens. C’est alors que nous avons compris la valeur de notre terre. Pendant toutes ces années nous avons foulé son sol mais sans toucher son corps. A présent qu’il était blessé, nous comprîmes les paroles de l’étranger. Nous savions désormais que nous étions les esclaves de la terre. Plus rien ne pouvait nous arrêter. Cette terre nous appartenait et nous allions la reprendre.