701 - L’expérience de Piaget et Szeminska et les nouvelles approches de la numérosité

N. Lygeros

L’étude de la numérosité qui peut être représentée par les chiffres, les lettres ou encore les phonèmes, a été initiée en 1941 par Piaget et Szeminska quant à son apprentissage par l’enfant. Pour cela, ils ont introduit des notions de conservation des quantités continues et discontinues afin d’étudier les capacités à construire des représentations mentales indépendamment des objets, de leur diversité, et aussi de leur propriété perceptive. Dans leur fameuse expérience, ils ont proposé aux enfants de différents âges deux récipients cylindriques de hauteur et de largeur identiques qui contiennent la même quantité d’eau. Dans un premier temps, l’expérimentateur montre l’égalité des deux niveaux d’eau et dans un second, il transvase le contenu d’un des récipients dans un autre plus haut et plus étroit. Ils ont montré que seuls les enfants de 7 ans et plus admettent l’égalité malgré la distorsion perceptive. Pour les autres, cette difficulté persiste même dans le cas discontinu et malgré la mise en évidence d’une correspondance terme à terme. Pourtant en 1967 Melher et Bever ont remis en cause cette idée grâce à une expérience analogue mais où cette fois les billes sont remplacées par des bonbons. Et en 1974, McGarrigle et Donalson ont pu montrer que les enfants de 3 ans admettent l’égalité de deux rangées de jetons malgré la modification faite sur la longueur de l’une d’entre elles, en plongeant le problème dans un cadre ludique et en faisant intervenir “un vilain ours” qui aime faire des bêtises comme celle d’allonger une de deux rangées de jetons. Enfin en 1990, Starkey, Spelke et Gelman ont montré chez des nourrissons de quelques mois, l’existence de capacités précoces à se représenter des petites quantités d’objets. Aussi actuellement, nous admettons que l’enfant est capable bien avant l’âge scolaire d’abstraire des quantités à partir des objets.
Le changement de contexte via la nourriture ou l’aspect ludique, ainsi qu’une approche différente a donné des résultats fondamentalement différents, en particulier dans le cas discontinu qui permet de discrétiser le problème. Nous pensons que précisément dans ce cas, il est possible de prolonger les plus récents résultats avec l’introduction de la géométrie. En effet du point de vue cognitif, la modification apportée dans les précédentes expériences est de type déformation topologique, faut qui engendre une distorsion perceptive. Alors qu’il est possible de mener le même type d’expérience mais cette fois avec un changement géométrique. En effet si nous considérons deux billes identiques placées une fois en position horizontale et une fois en position verticale, nous pouvons déjà tester l’enfant sans effectuer de modification topologique mais uniquement une rotation. Ensuite ces billes peuvent être placées dans des cylindres de tailles différentes et adéquates pour montrer de facto la conservation de la numérosité. La perturbation est plus faible, même avec un plus grand nombre de billes et elle permet d’avoir une étape intermédiaire dans le cas d’enfants en difficulté. Il est d’ailleurs préférable d’utiliser dans un premier temps des parallélépipèdes et d’exploiter l’ensemble de leurs projections spatiales avant de passer au cylindre qui est plus abstrait de ce point de vue.