573 - De la rigidité à la fluidité via l’immersion

N. Lygeros

Dans l’inconscient collectif, le jeu d’échecs représente le jeu de l’intelligence par excellence. Alors que les études psychométriques ont montré que les résultats à ce jeu, certes intellectuel, avaient une corrélation nulle avec le quotient intellectuel. De même la société le considère comme un jeu stratégique alors qu’il est essentiellement tactique. Par exemple, le degré stratégique du jeu de go est nettement supérieur. L’ensemble de ces remises en question s’expliquent par le fait que la découverte du jeu d’échecs est effectivement chargée en facteur g alors que sa spécialisation n’est qu’une cristallisation.
Alors que l’initiation à ce jeu va de pair avec l’ouverture d’esprit et la fluidité cérébrale, sa professionnalisation est une rigidification de la pensée. Les schémas mentaux se sclérosent et même s’ils demeurent performants pour jouer en compétition, ils enferment les joueurs dans une structure classique qui ne permet plus la mise en place d’un véritable raisonnement non-uniforme. Les joueurs sont dotés de bonnes heuristiques mais ne possèdent plus que de la fluidité locale.
Une manière efficace de lutter contre cette rigidification naturelle, c’est de plonger le jeu d’échecs dans le cadre combinatoire plus mathématique. En éliminant les aspects psychologiques de la compétition et en exploitant le substrat échiquéen, le jeu d’échecs redevient un langage qu’il faut maîtriser via la plasticité cérébrale.
Concrètement l’utilisation formelle des règles du jeu d’échecs dans un cadre abstrait permet au joueur de s’abstraire justement du jeu habituel et de redécouvrir une nouvelle manière d’aborder ce jeu. Car même si les études représentent déjà un hors contexte naturel, il n’en demeurent pas moins qu’elles sont fortement cristallisées, car elles exploitent l’extrême connaissance des subtilités du jeu. Tandis que les problèmes combinatoires surtout lorsqu’ils sont élémentaires permettent de visualiser de nouveaux schémas mentaux sur une même structure et un même substrat.
Dans ce nouveau cadre, il est d’ailleurs possible de croiser les mentalités classiques aussi bien du jeu d’échecs que de la combinatoire afin de se placer dans un champ fluide et dynamique le seul qui soit adéquat à la plasticité cérébrale. Ainsi en croisant les expériences des mathématiciens classiques et des joueurs d’échecs classiques nous pouvons d’une part étudier la fluidité du solveur et la créativité de l’inventeur. Cette dernière qui est si enfermée dans des domaines traditionnels d’autre part, explose littéralement lorsqu’elle est associée à des phénomènes de bord.
Cette manière de conceptualiser l’immersion du jeu dans le monde cognitif est évidemment généralisable. Ainsi au lieu de traiter deux bassins d’attraction comme le jeu d’échecs et les mathématiques, nous pouvons leur associer un troisième à savoir celui de la stratégie proprement dite. Car là encore les spécialistes sont nombreux mais les esprits novateurs, rares. Cependant la combinaison des trois domaines loin d’être artificielle, constitue un champ d’investigation très riche pour découvrir de nouveaux schémas mentaux et développer une véritable théorie méta-heuristique.
En redéployant le jeu d’échecs dans un univers combinatoire plus vaste, non seulement nous le redécouvrons mais nous brisons l’uniformité des raisonnements habituels, véritables recettes de spécialistes, puisqu’elles sont désormais inadéquates. La modification de l’effet de bord, métamorphose l’ontologie rigide et lui attribue une téléologie fluide afin de devenir une véritable méta-heuristique mentale.