412 - Sur la substructure des droits de l’homme

N. Lygeros

Dans son article intitulé “The Extent of Rights”, William James Sidis établit les prémices d’une hiérarchie axiologique des droits fondamentaux que sont la vie, la liberté et la recherche du bonheur qu’il étend via le principe d’égalité au droit de libre expression et au droit de révolution tels qu’ils sont décrits dans la déclaration d’indépendance des Etats-Unis d’Amérique. Pour ce faire, il explicite l’ontologie de l’égalité afin de la dégager de la gangue des présupposés qui entourent ce principe. Via ce biais, il interroge son lecteur et à travers lui la société tout entière sur l’existence d’une société égalitaire dépourvue de droits tels que celui de la liberté. Enfin en appuyant son argumentation sur la généricité de l’égalité, il montre que cette société ne saurait être qualifiée d’humaine…

En examinant les droits fondamentaux français qui sont à la base de la déclaration universelle des droits de l’Homme, à travers l’approche de Sidis, nous nous apercevons qu’ils ne sont pas axiomatiquement équivalents comme pourrait le laisser croire leur statut. Il serait donc possible de dégager une substructure de l’axiomatique des droits de l’Homme.

Que le droit de vivre puisse être considéré comme le premier des droits, cela semble un truisme. Et pourtant si nous jugeons de l’importance de l’abolition de la peine de mort dans le monde, nous voyons qu’il n’en est rien et que ce droit est bien souvent bafoué pour des raisons supra-individuelles. Un des exemples les plus terribles de cette violation est le suivant : “Le docteur Charles Drew a découvert comment empêcher le sang de coaguler, ce qui a permis de le stocker. Puis il a été blessé dans un accident de voiture, et comme l’hôpital le plus proche ne prenait pas les gens de couleur, il est mort en se vidant de son sang.” Si la société avait été vraiment conçue sur le droit de vivre, cet homme n’aurait pas eu cette mort. Dans une société humaine – qui demeure utopique pour le moment – nul homme ne pourrait mourir par l’application d’une loi puisque le droit de vivre serait la singularité fondamentale des droits.

Considérons à présent les autres droits de la devise française à savoir la liberté, l’égalité et la fraternité. Nous voyons que le droit de vivre libre, même s’il doit être précisé, ne va pas à l’encontre du sens puisqu’il serait inhumain de considérer comme un droit complet celui de vivre en esclavage. La liberté semble en effet indispensable au développement de l’homme social. Car sur le plan strictement philosophique, Epictète n’a de cesse de nous rappeler son aphorisme principal : “Considère-toi comme un homme libre ou comme un esclave, cela ne dépend que de toi.” A nouveau, la situation actuelle dans le monde, nous interdit de penser que tout homme a le droit de vivre libre.

Cependant l’apport de la liberté est autre. En effet, la liberté par son étendue amène naturellement à se poser la question de frontière. Bien que cette notion soit déjà présente dans le droit de vivre, son caractère conflictuel n’apparaît que dans des cas extrêmes et rares. La conséquence de cela est un oubli relatif de cette notion. Car il ne suffit pas d’exister pour vivre, il faut que les autres se souviennent de vous. Tandis que la liberté d’agir qui n’a potentiellement pas de limites autres que physiques, a forcé les hommes et plus généralement la société à réfléchir sur ses bornes. Car l’application de la généricité à la notion de liberté afin qu’elle soit universelle, engendre structurellement des effets de bord. En octroyant la liberté à chacun, la création de situations conflictuelles est inévitable. Une autre manière – dynamique celle-ci – de voir la liberté serait de la considérer comme une cellule de Voronoï des sommets qui seraient les hommes, d’une structure noétique qui serait le graphe associé. Dans ce cadre l’égalité serait le squelette topologique de la substructure libertaire. La généricité de l’égalité induit l’universalité de la liberté.

Alors que dans l’approche de Sidis, le principe d’égalité n’appartient pas à la même axiomatique que les droits fondamentaux, nous interprétons ici cette différence comme la caractéristique d’une substructure des droits de l’homme. Afin que cette substructure soit complète, nous devons expliciter le graphe associé. Car pour le moment nous n’avons mis en évidence qu’un ensemble de sommets sans lui associer de structure intrinsèque. Celle-ci correspond à l’ensemble des relations humaines. Car le droit de vivre libre dans des frontières de même type ne présuppose pas une mise en relation même si nous n’avions dans cette situation qu’un cas dégénéré d’un ensemble poly-solipsiste. Tandis que la fraternité via le flux empathique et l’aspect dynamique de l’altruisme engendre, une fois qu’elle est holistique, la mentation de l’humanité.