41149 - Le mix-stratégique comme loi d’hypergroupe. (avec P. Gazzano)

P. Gazzano, N. Lygeros

Notre premier article intitulé La coalition en théorie des jeux interprétée comme l’union en théorie des hypergroupes, était une tentative ad hoc d’introduction d’objets appartenant à la théorie des hypergroupes et à la théorie d’hyperstructures, en théorie des jeux. Nous nous étions placés dans le cadre des jeux coopératifs qui décrit un jeu comme la donnée d’une mesure sur P(N). Le problème de cette axiomatique est qu’elle aboutit à des solutions comme le noyau, le corps, l’ensemble stable qui n’existent pas nécessairement. En revanche, l’apport révolutionnaire de l’axiomatique de Nash avec les jeux non-coopératifs permet de démontrer l’universalité de l’équilibre de Nash dans les jeux à somme nulle. Cette approche est bien plus puissante, puisqu’elle s’intéresse aux stratégies alors que la première s’intéresse aux gains/pertes. En effet, les axiomes des jeux coopératifs considèrent les coalitions comme une donnée primitive, il est donc difficile de travailler avec ces axiomes pour comprendre comment les coalitions se forment. Aussi il est bien plus judicieux de définir des opérations entre les stratégies, comme les stratégies mixtes par exemple, plutôt que des opérations entre les joueurs. Si la théorie des jeux coopératifs semble naturelle pour étudier la coopération, ce n’est pas forcément la meilleure pour étudier l’émergence de celle-ci, comme le montre le jeu de Frank par exemple que nous avons créé dans ce sens. Comme bien souvent en théorie des jeux, les comportements stratégiques les plus efficaces apparaissent là où ils n’étaient pas attendus. Il a été nécessaire d’élargir notre idée initiale afin de nous placer dans l’axiomatique de Nash. Cette dernière est suffisamment simple et souple pour supporter dans sa structure des généralisations successives, à l’instar de techniques de Grothendieck. Il est tout à fait possible d’étendre les résultats de Nash, ce qui permet de plonger la théorie des jeux dans la théorie de l’ordre. Implicitement, la coopération revient à conclure un accord, une sorte d’équilibre entre les deux joueurs partant de deux positions initiales. Puis une fois cet accord conclu, les joueurs vont continuer jusqu’au prochain accord, et ainsi de suite. Il n’est donc pas étonnant d’aborder la coopération avec des éléments d’algèbres, comme la cyclicité et l’associativité faible ou forte. La théorie de l’ordre offre des structures suffisamment générales pour conserver les propriétés des ensembles munis d’un ordre partiel, mais aussi suffisamment riches pour voir apparaître des phénomènes algébriques, comme l’existence de lois associatives, d’idéaux, de groupes. Nous saisissons alors une intersection non vide entre la théorie des jeux généralisée aux ordres partiels, la théorie de l’ordre et ses structures algébriques et la théorie des hypergroupes qui généralise les groupes en se libérant de la nécéssité de l’existence de l’élément neutre. Pour décrire la coopération entre deux joueurs, nous avons choisi le critère suivant : deux joueurs coopèrent s’ils maximisent non pas leur propre utilité, mais celle de l’autre. Cela revient à trouver une alternative qui maximise la position des deux joueurs, ce que nous avons appelé x1 v x2. Evidemment, cette nouvelle position constitue un équilibre de Nash, puisque le joueur 1 (respectivement 2) n’a aucun intérêt à revenir sur sa position initiale x1 (respectivement x2). Nous avons pu traduire ce critère comportemental en deux axiomes, et définir à partir de ceux-ci, une loi d’hypergroupe, respectant l’associativité forte. Il n’est donc pas si surprenant de voir émerger des structures algébriques car deux joueurs qui coopèrent vont in fine créer une structure entre eux. Ainsi notre approche respecte parfaitement le « programme de Nash » : en constituant un jeu stratégique qui correspond à la situation que nous nous efforçons d’analyser, i.e. la formation de la coopération via la synergie, nous avons pu créer une nouvelle opération d’hyperstructure entre deux stratégies, dite mix-stratégique, qui répond à notre question initiale.