405 - Sur la doctrine ou l’envergure du local

N. Lygeros

Une des caractéristiques principales de la doctrine qui procède, selon Lucien Poirier, d’un choix calculé dans la pluralité des théories existantes et qui en extrait une représentation et une conception privilégiées de l’action, c’est le local. Au contraire de la théorie qui est par définition globale, la doctrine se veut locale car elle a une finalité pratique puisqu’elle doit permettre la réalisation conceptuelle. Cependant les définitions récentes de la doctrine qui sont plus englobantes sous-tendent une autre approche.

Pour l’Encyclopédie militaire soviétique la doctrine représente un système de points de vue adopté par un Etat pour une période de temps donnée, portant sur l’essence, les objectifs et la nature d’une guerre possible à venir, ainsi que la préparation du pays et des forces armées à cette guerre et les moyens de la mener. Et pour les Etats-Unis, elle est le guide pour mener les guerres et conduire les opérations autres que la guerre comme le souligne le Field Manual.

Initialement donc la doctrine est volontairement secrète et résolument opaque. Elle n’est accessible véritablement qu’à travers des textes spécialisés et confidentiels principalement en raison du fait qu’elle n’est pas neutre puisque pensée en vue d’une action. C’est à la notion de guerre totale que l’on doit l’élargissement de celle de doctrine. Elle a désormais acquis une double fonction déclaratoire. Par ce biais, son sens local a quelque peu évolué.

En réalité la diffusion de la mentation d’une doctrine est un facteur tout aussi important que son sens strictement militaire. Via une large diffusion, non réservée à des spécialistes, la doctrine augmente sa sphère d’influence et ce, dans des cadres sociologiques et psychologique. Elle modifie donc la vision que peuvent – ou doivent ! – avoir d’autres nations, des situations conflictuelles. Elle crée implicitement un cadre de réflexion dont il est difficile de s’extraire lors d’une remise en cause nécessaire. La puissance de la doctrine ne conditionne d’ailleurs pas seulement les alliés mais aussi les adversaires et l’on sait combien cette façon de faire est importante dans le domaine de la dissuasion.

En effet, comme nous l’avons analysé dans un précédent article intitulé ”La dissuasion : une stratégie virtuelle d’une efficacité réelle”, la dissuasion est une doctrine spécifique qui démontre l’importance de la communication et de la gestion de son contenu informatif. Et dans un cadre qui n’est que implicitement conflictuel, il s’agit d’atouts majeurs. Car une arme même si elle n’est pas nécessairement d’ordre matériel mais conceptuel, ne vaut que par son emploi. Or nous voyons que l’utilisation de facteurs externes augmente l’impact d’une doctrine. Car des schémas mentaux tels que la guerre éclair, la guerre chirurgicale ou encore la guerre des étoiles ont avant tout produit des ravages conceptuels qui vont bien au delà des réalités. Dans des conflits implicites, il est pour ainsi dire plus important que vos adversaires soient persuadés de votre supériorité doctrinale qu’elle ne soit réellement. En effet le premier cas produit une résistance essentiellement nulle tandis que le second incite à tenter l’expérience. Et en stratégie virtuelle, il vaut mieux convaincre qu’avoir à prouver.

Ainsi la doctrine bien que confinée par nature, via sa diffusion informationnelle déborde sur la réalité virtuelle et modifie par ce biais la vision de la réalité qui finit par être ce que la doctrine prédit. Sa fonction déclaratoire lui confère un aspect auto-prophétique au sens de Popper qui met en évidence son envergure stratégique.