394 - De la suprématie médiologique

N. Lygeros

Initialement l’importance du messager provenait de celle du message. L’essence du medium était son sens. Sans information, la communication ne pouvait exister. Le moyen importait peu, l’essentiel était l’idée. Le contenu était et le contenant le portait. Nul ne s’intéressait vraiment au support du message.

Pourtant l’inscription du sens dans le temps amena naturellement à se poser la question de la conservation du message. Et peu à peu le support prit de l’importance. A vouloir laisser une trace temporelle, les hommes s’intéressèrent à la matière de l’espace. Pour durer, il fallait se positionner.

Cependant la permanence du message finit par éloigner la source de la cible. Peu à peu le récepteur n’avait d’autre moyen d’atteindre l’émetteur que via le médium. Aussi si l’émetteur était important, le message finissait par le devenir aussi puisqu’il était le seul moyen d’accéder à une information désormais inaccessible. L’impossibilité d’un accès direct renforça le statut de l’intermédiaire.

Ainsi l’essentiel n’était plus l’essence mais l’intermédiaire. Sans l’intermédiaire, l’essence n’avait de sens. Pire, elle n’existait pas. Le contenant s’est identifié au contenu puisqu’il ne restait plus que lui. Le message étant la seule entité à avoir le statut d’observable au sens d’Heisenberg, le contenu n’existe pas au sens de Sidis.

La généralisation de ces idées conduit naturellement à identifier la médiosphère avec la noosphère. Les réalités des uns, n’ayant pas de sens pour les autres, sont alors évincées par la communication des modèles cognitifs. L’évaporation des réalités engendre par condensation la réalité mentale. Et de cette manière l’un n’existe qu’à travers les autres.

Il ne faut pas pour autant se tromper sur l’interprétation de cette vision des relations humaines. En effet, même si en apparence elle correspond à la négation de l’essence, ce nouveau schéma mental représente un enrichissement de la structure noétique de l’humanité. En activant le réseau mental, elle engendre de manière implicite une super-entité certes contenu dans la médiosphère, mais contenant la noosphère.

Malgré le caractère que nous venons d’expliciter, le concept médiologique a par ailleurs été massifié. Réduit au statut d’entité publicitaire ou de slogan dans le but avoué de marquer les esprits, il est devenu le moyen par excellence de la société de consommation. L’important n’est pas la pensée mais la communication. Cependant quid de la communication sans pensée. Conscient de l’importance de la médiologie, le système s’en est emparé pour sa propre propagande. Dans ce cas, l’important n’est pas de communiquer une pensée mais de trouver le moyen de manière à ce que la société dans son ensemble “pense” de la même manière que le système. C’est ainsi qu’est né le consensus manufacturé. Tout le monde s’accorde sur une chose sans savoir vraiment ce qu’elle représente. Dans le règne des mass-médias, l’essence n’est que communication et la communication “est” un moyen d’influence. L’idée n’est pas la raison mais d’avoir raison. Dans ce jeu d’influences où tout est manipulé au profit de l’information et pour le bien et la stabilité de la société, la médiologie est victime de sa propre puissance. Via la massification, la médiologie est devenue elle-même un médium sans avenir au profit de l’insignifiance de l’immédiat.