3638 - La secrète alliance

N. Lygeros

Il avait décidé d’attendre la cible de l’embuscade. C’était l’unique moyen de découvrir une partie de l’ignoble secret. Le comte prit ses dispositions dans l’église après avoir éloigné les cadavres de ses assaillants. Malgré le poids de son armure, il parvint à se hisser au sommet de l’église. De là, il scruta l’horizon. Seul son regard d’aigle lui permit de discerner l’étrange silhouette dans le lointain. Il tenta d’apercevoir des détails caractéristiques mais en vain. Le cavalier solitaire était inconscient du danger. Le comte comprit qu’il avait été trompé. Sans cela, il aurait été armé jusqu’aux dents. Alors qu’à présent il était plus léger que le vent. La surprise pour le comte vint de l’orient. En effet un autre cavalier venait lui aussi dans la direction de l’église. Cette simultanéité dans les mouvements ne pouvait être due au hasard. Etait-ce le coupable qui avait commandité le crime ou une autre victime de cette embuscade? Le comte ne pouvait le distinguer. Il réexamina l’horizon en direction de l’autre cavalier pour tenter de voir plus clair dans cette énigme. Cette fois, la distance était suffisante pour lui permettre de voir le passé. Car c’était bien le passé qui revenait à lui. Il esquissa un sourire. Il était à nouveau un pestiféré. Seulement, maintenant, la peste n’était pas noire. Son ami était lui aussi en territoires occupés. Il n’en connaissait pas encore la raison mais il était déjà heureux de le rencontrer et de l’avoir épargné d’une corvée qui aurait pu lui être funeste. Cependant une question s’imposa à lui. Etait-ce son ami la victime désignée ou l’autre cavalier solitaire? Il savait déjà qu’il devait protéger l’un d’entre eux. Aussi son regard se posa tel un aigle sur sa proie. Il se prépara à intervenir afin d’éviter une désagréable surprise à son ami des années noires. L’autre cavalier était lourdement chargé. C’était un chevalier. Il venait combattre. Le comte en était certain. Mais pour qui et contre qui? Telle était la question. Sa monture obliqua sur le chemin, d’une manière tout à fait caractéristique. Il ne connaissait qu’un seul homme capable de maîtriser son destrier de la sorte et cet homme était toscan. Le concours de circonstance était tout à fait exceptionnel. À moins que ne fut à dessein. Tactiquement tout semblait parfait. Mais qu’en était-il de la stratégie? Les cavaliers approchaient maintenant de l’église pendant que le comte était plongé dans ces pensées. Ses deux amis se retrouvaient sur les lieux de l’embuscade sans savoir qu’il y serait présent. Il descendit pour les rejoindre sur le seuil de l’église. Ces derniers pouvaient s’apercevoir mais sans se reconnaître. En reconnaissant le comte, les deux amis piquèrent des deux pour l’atteindre en premier. En cet instant, le comte s’inclina devant leur altruisme. La guerre ne les avait nullement changés. Ils étaient inaltérables. Il posa un genou à terre pour témoigner de son respect et les prévenir de sa connaissance des deux cavaliers. Tous deux comprirent le message du comte et cessèrent sur le champ leur galop effréné. À hauteur du comte, ils se reconnurent enfin et leurs traits durs laissèrent place à l’esquisse d’un sourire. Ils étaient en territoires occupés, seuls mais ensemble comme la nécessité les avait conçus. Le comte se releva et les cavaliers descendirent de leur monture pour l’embrasser. À cet instant, ils entendirent le joueur de la bombarde.