3637 - Dans les lignes ennemies

N. Lygeros

Il parvint à s’infiltrer dans les lignes ennemies. Il exécuta cet exercice avec une telle aisance qu’il douta de son efficacité. Il se demanda s’il n’était pas tombé dans le piège d’un subtil stratagème. Seulement il ne pouvait oublier que malgré l’occupation, il se trouvait à nouveau sur sa terre et cela le comblait de joie. Il retrouva rapidement l’église qui l’attendait depuis son enfance. Elle n’était pas très haute : plus proche des hommes que de Dieu, pensa-t-il. Il pensait qu’elle avait été saccagée par l’armée ennemie. La chevalerie perdait un à un ses points de repère. Le sacré n’existait plus, pas plus que le respect. Il pénétra néanmoins dans l’église, non pour pleurer sur les murs blessés mais pour entendre à nouveau les chants d’autrefois. Il marqua le coup sur le seuil. Puis il leva aussi lentement que possible son pied armé pour ne pas déranger les morts et les saints. Il marcha silencieux jusqu’à l’autel où il s’agenouilla en tenant sa lourde épée. Ce fut exactement à cet instant qu’il entendit un cliquetis. Il ne se retourna pas et feignit de n’avoir rien entendu. Ils étaient trois. À présent, il les distinguait clairement. C’était une embuscade mais cela ne le dérangea pas le moins du monde. Depuis qu’il était entré dans l’église, une sourde colère grondait en lui et il ne savait comment la canaliser. Aussi, en entendant l’ennemi qui était au nombre de trois, cela le réconforta. Il pourrait les combattre même à mains nues mais comment laisser son épée dans le désarroi. Maintenant, ils étaient très près de lui. Là, il décida de chanter pour la mémoire des morts. Sa voix les terrassa car exempte de toute crainte. Les trois ennemis se regroupèrent d’instinct. Ce fut leur première erreur car le comte en se retournant ne pouvait manquer de toucher l’un d’entre eux. Sa lourde lame amputa le bras armé du chef de la bande. Ce dernier poussa un tel cri que les autres furent horrifiés. Alors le comte se leva et s’avança lestement dans leur direction tel un fléau d’armes. Son armure frappa de plein fouet le second qui n’avait pas eu le temps de parer car le comte s’était élancé sans suivre la direction de son épée. Le troisième vit au dernier moment le coude pointu du comte qui s’enfonça dans sa gorge. Son effondrement ne manqua pas d’affecter le second qui tenta un dernier coup avant de s’enfuir. Ce fut leur seconde erreur. Le comte visa l’articulation du genou comme le lui avait appris un coutilier. L’ennemi ne put supporter la douleur et s’affaissa de tout son poids sur son articulation. Le chef de la bande en voyant le résultat catastrophique de leur embuscade, comprit qu’ils n’avaient pas affaire à un simple soldat. C’était un maître d’armes. Il tenta de s’enfuir mais en vain. Le comte était plus que cela. C’était un maître de guerre. Aussi il le rattrapa sur le seuil de l’église. En voyant cette masse, le sang de l’ennemi ne fit qu’un tour. Il se sentit perdu. Il tenta de frapper le comte sur le côté mais celui-ci para le coup avec dextérité et lui brisa le bras. L’ennemi s’agenouilla pour demander grâce. Néanmoins le comte ne l’écouta pas. Personne ne devait savoir qu’il avait traversé les lignes ennemies. Et personne ne put le trahir. Il avait pris l’initiative et il était tombé sur une embuscade. Il n’était pas la cible. Ces hommes de main avaient tendu un piège à un autre.