3381 - Des mouvements à l’esprit de Leonardo da Vinci

N. Lygeros

Leonardo da Vinci observe sans cesse et fixe à jamais les mouvements des hommes pour en saisir l’esprit. Il commence toujours par la structure afin d’étudier la fonction.

“Les mouvements de l’homme s’apprennent après la connaissance des parties du corps et de l’ensemble de toutes les postures des membres et des articulations.”

Ce n’est qu’après que le peintre doit observer sans être observé pour ne pas aliéner le mouvement.

“Ensuite, fixe par quelques notations sténographiques les actions des gens, avec leurs particularités, sans qu’ils s’aperçoivent que tu les observes; car s’ils s’en rendaient compte, cela les intriguerait et l’acte qui occupait tout leur esprit perdra de son énergie.”

Afin d’être le plus didactique possible, Leonardo da Vinci traite explicitement l’exemple de la colère.

“Quand deux hommes en colère se disputent, et que chacun croit avoir raison, ils meuvent avec beaucoup de violence les sourcils et les bras et les autres membres, ayant des gestes appropriés à leurs intentions et à leurs paroles. Tu ne pourrais pas obtenir ce résultat si tu leur demandais de feindre cette colère ou une autre passion comme rire, pleurs, douleurs, étonnement, peur, etc.”

Il ne préconise donc qu’une seule méthode. L’artiste doit être prêt à tout pour capter et fixer le mouvement révélateur de l’état d’esprit de la personne observée. D’où la recommandation suivante : “Sois donc attentif à porter toujours sur toi un petit carnet de feuilles à la gélatine, et avec la pointe d’argent notes-y brièvement des mouvements et note aussi les attitudes des assistants et leur distribution, et cela t’enseignera à faire des compositions.”

Nous remarquons que Leonardo da Vinci ne propose pas une décontextualisation de l’objet croqué. Il considère qu’il est préférable d’avoir une vision d’ensemble. Ce point est tout à fait compatible avec son approche plus élaborée de la notion du décor en peinture. Il ne s’agit pas de plan mais bien de contexte. Ainsi le personnage est doté naturellement d’un récit révélateur de sa nature.

“Et quand ton carnet sera plein, mets-le de côté et garde-le pour tes projets, prends-en un autre et continue. Et ce sera une chose très utile pour l’art de composer, au sujet duquel je ferai un livre à part qui suivra l’étude des figures et des membres séparés et de leurs diverses articulations.”

Leonardo da Vinci observe les mouvements, capte celui qui est révélateur du personnage qu’il traite, puis il le replace dans son contexte afin d’étudier l’esprit de ce dernier. S’il insiste sur ce dernier, c’est aussi parce qu’il considère que c’est là que se trouve tout l’art du véritable artiste.

“Le bon peintre a essentiellement deux choses à représenter : le personnage et l’état de son esprit. La première est facile, la deuxième difficile, car il faut y arriver au moyen des gestes et mouvements des membres.”

Même s’il précise la difficulté, Leonardo da Vinci n’en donne pas moins une solution élégante et simple.

“Cela peut être appris chez les muets qui le font mieux que tout autre sorte d’hommes.”

Cette technique est basée sur l’idée que l’articulation du langage humain est bien trop puissante aussi elle cache les expressions de la personne. Le peintre doit s’efforcer de tenir compte du langage des articulations et des gestes car seul ce dernier sera accessible par le spectateur du tableau final. Aussi ce dernier doit être une véritable représentation des mouvements de l’esprit du personnage, si le peintre désire que son tableau soit parlant.