3212 - Le sourire de l’hirondelle

N. Lygeros

Le chevalier sans armure se demanda si ses disciples étaient prêts à se sacrifier pour une hirondelle mais en les voyant tous les cinq dans la croisée du bleu, il n’eut plus aucun doute. Ils ne craignaient pas la mort car elle était digne. Ils permettraient à la mémoire de résister à l’oubli.

    – Les barbares viendront bientôt.

    – Nous en avons rencontré quelques uns sur le chemin. Nous ne leur avons pas laissé le temps de s’organiser.

    – Ils s’organisent néanmoins. Ils ont reçu des renforts de l’étranger.

    – Alors nous lutterons contre ceux-là aussi.

    – Ils viendront ici avec des haches.

    – Alors nous les attendrons.

    – Nous devons les devancer. Ce lieu doit survivre au génocide.

    – Au génocide ?

    – L’humanité apprendra ce mot par la suite. À moins que nous n’ayons pu résister à l’attaque des barbares.

    – Même si ce n’est que pour cela, nous résisterons.

Ils étaient déterminés. Cela était certain. Ils étaient aguerris au combat. Cela était certain aussi. Seulement qu’en serait-il lorsqu’ils découvriraient les premières victimes ? Qui d’entre eux pourrait supporter des milliers d’exterminés ? Le soleil de la justice serait absent de nombreuses années sur cette terre des pierres. Il faudrait supporter le poids de la nuit sans étoile. Combien de têtes trancherait la demi-lune avant que les hommes ne soulevassent le soleil de la justice au-dessus de la plus grande des blessures humaines ? Quant à la mémoire, comment supporterait-elle le souvenir de tous ces innocents morts ? Ils étaient là pour cette raison. Le maître du temps resta seul dans l’église de la Sainte-Croix. Ses disciples se dispersèrent dans toute l’île. Au moindre mouvement suspect, ils reviendraient pour prévenir l’homme et protéger l’église. Ils s’enfoncèrent dans la nature et disparurent en elle. Plus personne ne pouvait les voir. Seul le chevalier sans armure entendait leur pensée. Ils étaient devenus la main protectrice de l’île et la vision de l’église. Ils attendirent trois jours ainsi.

    – Les haches sont là.

    – Redéployez-vous.

    – Prise de position.

    – Combinaison de combat.

D’un seul coup, les mains nues s’emparèrent des haches de la mort. La lune ne pût rien contre elles. Les cous brisés s’effondraient avant d’avoir pu voir l’église. Le maître du temps resta seul. Aucune hache ne pénétra dans l’église. Sa main humaine avait frappé les esprits. Et l’hirondelle se posa sur sa tête.