3116 - Humanitas et Tempus XI

N. Lygeros

Pour procéder à l’analyse de l’Humanité, il faut examiner la solitude de l’intelligence et la rareté de la résistance. Pour cela il faut comprendre combien l’humain semble inhumain à la société. Si l’humanité d’Electre dans la pièce homonyme de Sophocle choque tant la société, c’est qu’elle semble trop humaine. Il n’y a rien de normal dans son comportement car ce dernier ne sied ni à son âge ni à son rang. Ce n’est pourtant pas celui de la folie. Sophocle n’utilise pas un stratagème de ce type, il exploite l’âme humaine à travers ses actes. Or quels doivent être ces actes, lorsque tout le système est corrompu, lorsque tout le monde collabore avec le pouvoir du système? Quelle est la place de l’humain dans ce contexte? Faut-il suivre le modèle de Chrysothémis pour saisir l’importance et la profondeur du compromis? Faut-il être insoumis à la manière d’Electre qui attend le retour de son frère? Aucun des deux modèles n’est indépendant et suffisant. Ils témoignent tous les deux d’une forte dépendance au système d’une part, aux principes d’autre part. Si Electre montre la voie de la révolte humaine, ce n’est que lorsqu’elle est persuadée de la mort de son frère. Car c’est seulement et uniquement à cet instant qu’elle prend véritablement son destin en main. Dans tous les autres cas, elle ne fait que subir le destin de la tragédie. Sa révolte ne devient conscience que lorsqu’il n’y a plus d’espoir. Car ce dernier provoque une attente qui n’a pas de sens en soi. L’incrustation humaine dans le temps doit être une volonté pour devenir une réalité. L’attente de la réalité n’engendre pas de volonté. Or sans cette dernière, comment parler de libre arbitre? L’homme peut sembler trop humain à la société car il est capable de n’accepter aucun compromis sans pour autant cesser d’exister. Electre ne cesse de troubler l’ensemble du palais et pourtant elle n’est pas condamnée à mort. C’est vrai qu’elle ne représente pas un danger aussi important que celui produit par la volonté d’Antigone. Néanmoins elle est à la source du danger puisque c’est elle qui a permis la fuite d’Oreste. Elle symbolise un pont entre le passé et le futur. Malgré la toute puissance du présent de l’effacement elle résiste pour que vive la mémoire et pour donner un sens à l’acte d’Oreste. Car sans la présence de la mémoire que signifierait de rendre la justice? L’acte de justice provient directement de l’acte de mémoire. Electre représente la mémoire d’Oreste. Sans celui-ci, elle ne serait qu’inutile, sans celle-ci, il ne serait pas. Car Electre est la justification d’Oreste, sinon Oreste ne pourrait être la justice d’Electre. L’homme se caractérise donc par la mémoire et l’acte. La première c’est sa part d’humanité et le second sa part de temps. Ses deux composantes séparées n’ont pas de sens véritable et elles semblent absurdes. Seulement l’amalgame des deux même s’il est extrême aux yeux de la société permet la réalisation de l’utopie. Ainsi le paradoxe devient étrange et l’étrange, humain.