2827 - La synthèse léonardienne de l’expérience

N. Lygeros

« Les choses de l’esprit qui ne sont pas passées par les sens sont vaines et n’engendrent qu’une vérité visible ; de tels discours naissent de pauvreté d’intellect et pauvres sont leurs auteurs ; s’ils sont nés riches, ils mourront pauvres dans leur vieillesse. »

Leonardo da Vinci est on ne peut plus clair sur les fausses sciences. Il ne se contente pas de répondre à des critiques, il les reprend et détourne leurs flèches pour se concentrer sur l’essentiel à savoir, l’importance de l’expérience directe. Seulement il n’est pas dupe et ne prend pas uniquement le point de vue des expérimentateurs qui se moquent de la théorie. Il pratique l’expérience pour ensuite synthétiser cette connaissance et celle-ci a plus de valeur qu’une simple expérience.

« Tu prétends q’il vaut mieux voir pratiquer l’anatomie que regarder mes dessins : tu aurais raison si l’on pouvait voir tous les détails que mes dessins présentent en une seule figure, où avec tout ton talent, tu ne verras et connaîtras que quelques veines. »

Pour Leonardo da Vinci l’art de dessiner n’est pas simplement une pâle copie de l’œuvre de la nature. Dans son trait, il utilise son intelligence pour parvenir à un résultat qui représente simultanément plusieurs expériences détaillées. Le regard même d’une expérience ne suffit pas pour parvenir au degré de connaissance d’un maître qui ne dessine que ce qu’il désire mettre en évidence. Le dessin de Leonardo da Vinci est l’aboutissement d’une véritable stratégie anatomique. Il effectue toute une série de recherches afin de parvenir à un résultat. Ce dernier constitue donc une reconstruction et même une modélisation des phénomènes. Car même si nous ne pouvons encore véritablement parlé de silence, nous retrouvons déjà dans les planches anatomiques de Leonardo da Vinci une modélisation scientifique. Cette vision est confirmée par ses propres mots qui explicitent son approche non conventionnelle.

« Pour acquérir une connaissance juste et complète, j’ai disséqué plus de cadavres, en détruisant tous les autres éléments, en enlevant jusqu’aux plus petites particules de la chair qui entourait ces veines sans autre saignement que celui tout imperceptible des veines capillaires. Un seul cadavre ne durait pas assez longtemps ; il fallait procéder avec plusieurs, par degrés, pour arriver à une connaissance complète. Ce que j’ai fait deux fois, pour vérifier les différences ».

Le texte de Leonardo da Vinci est limpide. Ce qui est remarquable c’est qu’il fait de plus intervenir la notion de temps. Il a une conscience aiguë de la date de péremption. Il existe une limite temporelle dans l’expérience directe qui n’est pas retranscrite dans le dessin final. Aussi celui qui n’examine que ce dernier, n’est pas conscient de cette difficulté temporelle. Il ne regarde que l’état final sans conceptualiser les étapes intermédiaires. Aussi il est aveugle du point de vue de Leonardo et donc aussi du point de vue scientifique. Le dessin de Leonardo da Vinci est donc une synthèse graphique et une concentration temporelle qui représente en un point, une somme du savoir non accessible encore à l’ensemble à l’ensemble de l’humanité, car il vient d’être inventé.