23 - Sur Z

N. Lygeros

Le choix de la lettre qui figure sur la couverture de ce numéro spécial de SINGULARITE provient bien sûr de la notation de la fonction de Riemann comme l’a sans doute deviné une grande partie de notre lectorat du moins celui qui est scientifique. Cependant nous n’allons pas parler de cet aspect, mais d’une connotation de cette lettre que certainement peu de gens connaissent. Pour être bref et non pédant à la fois nous dirons que nous voulons rendre hommage à un HOMME. Pour cela nous citerons abondamment le livre de Vassilis Vassilikos : Z qui est un roman basé sur l’affaire Lambrakis.
C’est une organisation d’extrême-droite – qui peut être considérée d’une part comme la représentation active d’une mentalité d’anticommunisme primaire qui sévissait alors en Grèce et d’autre part comme le signe avant-coureur du régime des colonels – qui a assassiné le 22 mai 1963/2433 Grigoris Lambrakis.

Sur le plan de l’Humanité l’on peut dire qu’il est né à ce moment là ; comme l’indiquaient à leur façon les misérables Z (ζει = il vit) qui fleurirent sur les murs dans un élan d’espoir désespéré, vaine révolte matée par la mort.

“Puisqu’il est dit de chacun de nous qu’il doive mourir, même de façon absurde qu’au moins nous fassions en sorte que notre mort soit utile aux autres. Mais on ne peut pas planifier sa mort. La seule chose qu’on puisse prévoir, c’est une façon de vivre, de manière que la mort y puise sa signification.”

Ce n’était pas un religieux, même s’il prêchait la paix. Il ne faisait pas partie de ceux qui ont besoin d’un dieu pour agir pour le bien de l’Humanité. Il n’imposait pas aux gens une quelconque soumission pour les aimer et les aider. Il ne lui était pas nécessaire d’utiliser des fidèles obtenir un gain de cause. Peu lui importait les indulgences, seule la misère l’intéressait. Il ne voulait tirer aucun profit de sa situation, il ne travaillait que pour l’instauration d’une paix internationale au-dessus de toutes les religions.

“Il ne ressentait aucun désir d’apostolat. Il avait seulement connu la pauvreté et la maladie pour les avoir affrontées. C’était là son métier. Il savait que de meilleurs hôpitaux allègent la souffrance. Il savait que dans un agencement différent des choses, bien des problèmes ardus de notre époque se trouvent simplifiés. Si une cartouche coûte autant qu’un litre de lait et un sous-marin nucléaire autant que la nourriture de tout un peuple pendant une semaine – et même une nourriture à profusion – où était l’absurdité.”

Ce n’était pas un politicien, même s’il était le porte-parole de la paix. Il ne faisait pas partie de ceux qui ont besoin du pouvoir pour agir pour le bien de l’Humanité. Il n’imposait pas aux gens une quelconque allégeance pour les aimer et les aider. Il ne lui était pas nécessaire d’utiliser des partisans pour obtenir un gain de cause. Peu lui importait les privilèges, seule la misère l’intéressait. Il ne voulait tirer aucun profit de sa situation, il ne travaillait que pour l’instauration d’une paix internationale au-dessus de toutes les doctrines.

“Il n’était pas communiste. S’il s’était fait élire député de gauche, c’était parce qu’il y retrouvait exactement ses propres vues. Ils collaient comme des ombres jumelles. Il n’était pas un théoricien du marxisme, c’est-à-dire un homme prisonnier d’un système. Il était ouvert de côtés, il sentait les courants passer en lui sans entrave. Mais il préférait naturellement ceux qui le réchauffaient.”

Pensant qu’un hommage à un HOMME n’était – dans le meilleur des cas – qu’une statue belle sans doute mais quoiqu’il en soit souvenir d’une mort et non appel à la vie, nous vous proposons une assez longue citation de Z. Représentation de sa pensée, elle ne doit être comprise qu’en faisant abstraction des lieux, seuls les évènements sont importants. Ils auraient pu avoir lieu dans n’importe quelle partie du monde. Ils nous montrent par leur généralité que ce qui est réellement important sur notre planète Terre ce ne sont pas la religion, la politique ou les guerres, mais les hommes. Une paix internationale, surtout à l’heure actuelle peut sembler utopique ; pourtant combien de réalisations effectives à présent ont été considérées comme telles dans le passé ?

“L’histoire de la paix en Grèce dès sa naissance en 1955, est une histoire cruelle. Dès la première manifestation des premiers pacifistes, au Pirée, la police fait semblant d’ignorer les provocateurs qui ont fait irruption dans la salle du théâtre, jettent des crachoirs sur l’estrade, vocifèrent, dénoncent, menacent sans que le Directeur de la police présent au premier rang d’orchestre fasse rien pour les empécher. A Lesbos, quelqu’un est tué pour des raisons demeurées secrètes, jusqu’à ce jour, après une manifestation en faveur du désarmement. A Athènes, un soldat qui prenait part en uniforme à un meeting pacifiste passe en cours martiale qui l’envoie à Triethns, poste isolé près des frontières d’Albanie et de Yougoslavie et il meurt peu de temps après d’un “accident survenu au cours d’exercices de tir”, selon la version officielle donnée par le haut commandement. Pourquoi la paix leur est-elle aussi intolérable ? Pourquoi ne s’en prennent-ils pas à d’autres organisations et mouvements, tels que l’Association des déportés et détenus politiques, la ligue des droits de l’homme, la jeunesse de l’E.D.A, les organisations syndicales, et pourquoi seul notre mouvement dont l’objectif est la paix et la détente internationale, dont les assises sont mondiales et auquel participent les leaders de tous les partis, est-il le seul qui offense leur vue ? La réponse est simple : les autres mouvements sont nos grands protecteurs qui devant nous se prétendent nos amis, alors que dans notre dos ils nous trahissent régulièrement, comme en Asie mineure en 1922 ou aujourd’hui à Chypre…”

Il serait faux de croire que cet éditorial constitue une exception dans la pensée de SINGULARITE. Bien au contraire il s’inscrit parfaitement dans nos conceptions, dans notre souci d’aider l’HOMME et la Science à se libérer. En effet notre hommage ne serait sans la conjonction de l’humanisme de Lambrakis et du scientisme du juge d’instruction qui ont fait naître la légende de Z. Ainsi il serait plus juste de voir Z comme le symbole de ces deux hommes et non seulement de l’un d’entre eux.