1885 - Patheticus dialogus

N. Lygeros

 Dolaine

Cela fait longtemps que je voulais te poser une question… Silence.

Azalie

Je t’en prie…

Dolaine

Et si elle est ridicule ?

Azalie

Je te le dirai.

Dolaine

Pourquoi aimes-tu tant la libellule ?

Roxilien

Moi je sais ! Moi je sais !

Il sautille sur place et fait des gestes avec ses bras et ses jambes.

Azalie qui le regarde avec curiosité.

A quoi joues-tu ?

Roxilien

Ce n’est pas ressemblant. Même jeu.

Dolaine

Tu fais la libellule ?

Roxilien

Oui mais pas seulement !

Dolaine

Et quoi d’autre alors ?

Azalie

C’est l’homme de Vitruve, n’est-ce pas ?

Roxilien, heureux.

Oui ! Oui ! Un temps. Je peux aussi faire le papillon. Il s’arrête.

Dolaine

Non, ce n’est pas la peine. En regardant Azalie. Est-ce la raison ?

Azalie

Ce n’est pas la première en tout cas…

Roxilien

Ah bon ! Un temps. Alors c’est quoi ?

Azalie

La libellule est un amalgame de beau et de monstrueux ?

Dolaine

Comme nous en somme…

Roxilien

Quelle drôle d’idée ! Un temps. Qu’avons-nous de beau ?

Azalie

Notre monstruosité !

Roxilien

Qu’avons-nous de monstrueux ?

Azalie

Notre beauté !

Dolaine

Comme la libellule…

Azalie

Oui, comme la libellule.

Roxilien

Et l’homme de Vitruve.

Azalie

C’est notre quadrature du cercle. Silence.

Roxilien, inquiet.

A cause de nos rondeurs ?

Dolaine

Non, je ne crois pas.

Roxilien, toujours inquiet.

A cause de notre tête au carré ?

Dolaine

Pas plus !

Roxilien

Je ne vois pas alors. Un temps. Notre problème a-t-il une solution ?

Azalie

Je ne le sais pas encore.

Roxilien

Et le Maître ?

Azalie

Je n’ai pas fini de lire ses carnets.

Dolaine

Il n’a pas fini de les écrire.

Roxilien, avec un œil coquin.

Ni de peindre !

Azalie

Toi, quand tu as une idée…

Roxilien

Tu ne peux pas comprendre.

Azalie

Quoi donc ?

Roxilien

Cela faisait des années que je cherchais un peintre…

Azalie

Mais pourquoi ?

Roxilien

Pour me faire refaire le portrait !

Dolaine

Tu veux sans doute dire te faire un portrait.

Roxilien

Non, non. Un temps. Mes parents s’en étaient déjà occupés. Et tu as vu le résultat.

Azalie

Une vraie libellule !

Roxilien

Une gueule cassée. Il vaut mieux se faire refaire le portrait. Silence.

Dolaine, touchée.

Ce n’est pas forcément idiot.

Roxilien

Tu vois ! Un temps. Seulement je ne trouvais personne.

Azalie

C’est impossible !

Dolaine

C’est impensable !

Roxilien

J’étais trop laid ; personne ne pouvait m’amocher !

Dolaine

Mon pauvre Roxilien…

Roxilien

Tout le monde me disait : Tu es un brave gars, toi ! Un temps. Et je savais qu’il ne voyait que ma laideur.

Azalie

Et le Maître !

Roxilien

Je lui en ai voulu au début, énormément ! Il m’a blessé !

Dolaine

C’est vrai ?

Roxilien

Il m’a dit que j’étais un monstre ! C’était le seul !

Azalie

Et tu ne l’as pas cru ?

Roxilien

Si, justement ! J’étais heureux !

Dolaine

Je ne comprends pas

Azalie

Je commence à peine…

Roxilien

C’était la première fois que quelqu’un me disait la vérité. Un temps. J’étais trop heureux. Je n’avais pas l’habitude. Alors je lui en ai voulu.

Dolaine

C’est donc cela l’explication.

Azalie

Et quand est-ce que tu ne lui en as plus voulu ?

Roxilien

Quand j’ai compris qu’il était comme moi. Je n’étais plus seul. Un temps. La société le voyait comme moi : un monstre.

Dolaine

C’est ainsi que deux malheureux devinrent heureux.

Roxilien

Ce n’est pas tout à fait cela… Disons plutôt que nous ne sommes plus malheureux.

Dolaine

Mais tu n’es pas heureux ?

Roxilien

Je n’ai plus besoin d’être heureux.

Azalie

Tu es un sacré monstre, tu sais ! Un temps. Tu voudrais bien me faire une fleur ?

Roxilien

Tu ne veux plus la libellule ?

Azalie

Je veux qu’elle se repose sur une fleur.

Roxilien

Comme tu le désires, Azalie !

Azalie

Alors viens près de moi.

Roxilien fait la libellule et embrasse Azalie.