1860 - Leonardo da Vinci en tant que paradigme

N. Lygeros

Même si les spécialistes considèrent que de manière globale nous ne connaissons que très peu Leonardo da Vinci, il est incontestable que celui-ci demeure un paradigme. Dans l’océan de la connaissance, il représente un phare, un point de référence. Certes, il ne faut pas nécessairement tout ramener à lui dans le cadre des analyses des œuvres mais il constitue néanmoins le fer de lance d’une époque surtout si nous l’interprétons comme une synthèse cognitive. Comme nous le savons désormais grâce à l’étude des manuscrits existants dans le contexte des ingénieurs de la renaissance nous ne devons pas attacher à Leonardo da Vinci, l’image de l’inventeur. Cette caractéristique n’est valable que dans quelques cas comme celui du parachute ou de la machine volante. Aussi il est préférable de l’examiner dans un cadre plus large. Peut-être même que son époque n’est pas révélatrice, si ce n’est que pour montrer sa différence intrinsèque. Ce qui est plus caractéristique de Leonardo da Vinci, c’est que dans chacun des domaines où il a exercé son art, même s’il n’est pas le premier, il est comparable dans le sens où il appartient aux meilleurs artistes de son époque. En réalité, c’est justement cette qualité d’être comparable aux autres dans chacun de ces domaines qui le rend incomparable pour l’ensemble. D’une certaine manière, il représente une application vivante de la loi de Ferguson dans le domaine psychométrique. Le fait d’appartenir à un pourcentage donné dans différents tests prouve que le testé appartient à un pourcentage encore plus rare. Ce n’est pas le peintre, le musicien, l’ingénieur, l’architecte, ou encore l’inventeur qui peuvent caractériser Leonardo da Vinci mais l’ensemble. S’il est unique c’est dans sa multiplicité. Dans chacun de ces domaines, il a développé des techniques particulières, il a synthétisé les connaissances de son époque, il a décrit des observations originales. Tout cela, dans chacun de ces domaines, était possible pour un homme de talent mais dans un domaine. Tandis que Leonardo da Vinci était capable de l’effectuer pour l’ensemble. Il faut de plus le replacer dans le contexte non académique. Il n’était ni un académicien, ni un universitaire, ni un savant, pas même un érudit. Leonardo da Vinci n’était qu’un génie universel. Il n’est pas issu du milieu choisi des intellectuels conservateurs qui s’organise comme une caste au sein de la société. Il représente une véritable singularité générique dans le domaine cognitif. Il est donc juste de le voir comme un élément à part, littéralement inclassable. Son existence provoque une remise en question du système de classification. Son œuvre, au sens global du terme, perturbe les classes. Même la séparation des sciences et des arts devient problématique avec Leonardo da Vinci. C’est en cela qu’il constitue un paradigme du génie universel. Car tous les classements deviennent désuets. Et la norme elle-même n’a que peu de sens dans le cas d’une intelligence si extrême, si complète, si holistique. Voilà l’apport essentiel de Leonardo da Vinci, le rejet du système et l’accès à la liberté intellectuelle.