1856 - Remarques sur le débat à l’assemblée

N. Lygeros

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Didier Migaud et plusieurs de ses collègues complétant la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915.

M. Christophe Masse, rapporteur de la commission des lois – J’ai l’honneur de vous présenter la proposition de loi, déposée le 12 avril dernier par le groupe socialiste, pour compléter la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 en y insérant un nouvel article créant le délit de contestation du génocide arménien. L’inscription du présent texte à l’ordre du jour de nos travaux intervient après l’inauguration du mémorial du génocide arménien, à Lyon, le 24 avril dernier, cet événement ayant donné lieu à des manifestations de nature négationniste.

Cette première allusion permet de mettre en évidence l’importance stratégique de la situation du Mémorial. Il ne s’agit plus simplement d’un Mémorial qui parle du passé. Il est déjà une référence pour l’avenir.

Ce texte s’ajoute aux six propositions de loi antérieures tendant à sanctionner la négation des crimes contre l’humanité, déposées par des députés de tous les groupes politiques. Deux autres propositions de loi relatives au génocide arménien, présentées respectivement par MM. Raoult, Blum et Mallié ont également été enregistrées depuis. La multiplicité des initiatives parlementaires montre que cette préoccupation transcende les clivages partisans et confirme le relatif consensus qui avait présidé à l’adoption de la loi de 2001.

Certes cela va dans le bon sens même si personne n’est dupe. Le clivage politique existe même si nous devons le transcender pour obtenir des résultats concrets.

En reconnaissant le génocide arménien, la France ne réalise pas un acte isolé, mais s’inscrit dans la logique des institutions internationales et européennes et rejoint plusieurs États déjà engagés dans cette voie. Le 18 janvier 2001, jour de l’adoption définitive par l’Assemblée nationale, députés et Gouvernement étaient animés par deux sentiments : contribuer à la réconciliation entre la Turquie et l’Arménie et rendre justice aux victimes du génocide. Force est de constater que la Turquie et l’Arménie n’ont guère progressé sur la voie de la réconciliation.

Cette dernière mise au point est malheureusement ambiguë aussi nous nous devions de la signaler.

En juillet 2002, intervenant lors d’un colloque sur la lutte contre le négationnisme, M. Pierre Truche distinguait trois manières de répondre aux victimes de drames historiques : la repentance – qui peut se traduire par une reconnaissance officielle, que nous attendons d’ailleurs –, les actions en justice contre les auteurs complices, ainsi que les actions en justice contre ceux qui nient la souffrance des victimes. À cette aune, la loi de 2001 a apporté au génocide arménien la reconnaissance officielle ; par contre, la sanction de la négation reste en suspens.

Le noyau de cette problématique est clair : quel est le sens nomologique d’une loi qui ne sanctionne pas lorsque elle est transgressée ?

Si la loi de 2001 représente une victoire, acquise de haute lutte, elle n’en demeure pas moins une avancée symbolique. Le caractère déclaratif de la loi la prive en effet de toute effectivité et elle ne peut connaître aucune application en l’absence d’un complément de valeur normative. La proposition de loi que j’ai l’honneur de rapporter est donc justifiée par la nécessité de rendre applicable la loi de 2001, pour combler ainsi une lacune de notre législation.

En effet, les instruments juridiques actuels ne permettent pas de sanctionner les propos niant l’existence du génocide arménien : ni l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ni l’apologie de crimes contre l’humanité, dont la sanction est prévue au titre du même texte, ni l’action civile sur le fondement de l’article 1382 du code civil ne revêtent le caractère exemplaire et préventif de la sanction pénale. En conséquence, la présente proposition de loi consiste à compléter par un nouvel article la loi de 2001.

Cette fois, le cadre est contextualisé via l’histoire française. Ceci évite de traiter le projet comme un affrontement communautaire.

L’article unique du texte ne justifiant pas une présentation approfondie, je préfère m’attarder sur les objections que son dépôt a soulevées. Je pense ne pas être le seul à avoir été alerté sur les conséquences de l’adoption de cette proposition de loi du point de vue de la Turquie. Il me semble néanmoins que nous devons l’ encourager à faire la lumière sur son passé. Alors que la polémique sur les lois mémorielles n’est pas éteinte, cette initiative parlementaire peut paraître audacieuse. Cependant, si la légitimité du Parlement à écrire l’histoire peut être contestée, elle ne peut l’être lorsqu’il entend défendre les valeurs de la République, au premier rang desquelles figure la dignité humaine. D’autre part, le vote de la loi de 2001 a d’ores et déjà tranché le débat sur l’histoire et la mémoire, pour ce qui concerne le génocide arménien.

M. François Rochebloine – Absolument !

En France, nous ne sommes donc plus dans un contexte historique comme certains voudraient nous le faire croire mais bien nomologique.

M. le Rapporteur – L’absence de reconnaissance du génocide arménien par une juridiction internationale interdirait de prévoir une sanction mettant en jeu la liberté d’expression. Cependant, le génocide a eu lieu il y a plus d’un siècle alors que ni la justice internationale ni la notion même de génocide n’existaient.

M. Richard Mallié – Très juste.

Effectivement c’est un point qui doit être mis en évidence afin de parer efficacement certaines critiques subversives.

M. le Rapporteur – Dès lors, comment exiger que les conditions fixées après la seconde guerre mondiale s’appliquent à ce crime contre l’humanité ? En vertu des principes du règlement des différends, l’Arménie ne peut, au surplus, soumettre la reconnaissance du génocide à la Cour internationale de justice sans le consentement de la Turquie à cette procédure.

Cette explicitation montre de manière indirecte l’importance de l’action de la diaspora arménienne.

De même que la loi Gayssot a provoqué l’ire de certains historiens et défenseurs des droits de l’homme au titre de son caractère prétendument attentatoire à la liberté d’expression, cette proposition risque de provoquer des réactions analogues. Je tiens à préciser que la Cour de cassation a, depuis, réfuté l’atteinte à la liberté d’expression, au motif que l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme prévoit des dérogations lorsqu’il s’agit de sanctionner des comportements attentatoires à l’ordre public et aux droits des individus.

Enfin, certaines propositions de loi visent à étendre le dispositif de la loi Gayssot à tous les crimes contre l’humanité. Bien que favorable à une telle évolution, celle-ci me semble prématurée au regard du débat sur « histoire et mémoire ». En outre, le génocide arménien est le seul à avoir fait l’objet d’une reconnaissance législative.

Cela prouve donc son caractère unique vis-à-vis de l’histoire de la justice française

aussi il est de facto incomparable.

Pour conclure, je crois que la sanction du négationnisme peut également être un instrument pour combattre la tentation du communautarisme. Cette affirmation, pour paradoxale qu’elle puisse paraître, trouve son fondement dans les événements les plus récents, lesquels marquent un durcissement de la confrontation entre les communautés turque et arménienne. La lutte contre le communautarisme impose de garantir à chacun le respect auquel il a droit en tant qu’être humain. Le négationnisme, en ce qu’il porte atteinte à l’identité arménienne, interdit la reconnaissance de l’autre et favorise le repli sur soi.

En adoptant cette proposition de loi, l’Assemblée nationale confirmera son attachement à la justice et à la démocratie. Par ce geste fort, elle contribuera à atténuer une concurrence malsaine entre les victimes de génocides, qu’entretient leur « inégalité » au regard de la loi. (Vifs applaudissements sur tous les bancs)

Le consensus existe malgré les divergences car il s’appuie sur l’universalité de la procédure, nous devons dons le renforcer.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères – Permettez-moi, tout d’abord, d’exprimer à mon tour ma sympathie la plus profonde à l’adresse de nos compatriotes d’origine arménienne, marqués par le souvenir des massacres commis en 1915…

M. Patrick Devedjian – Le génocide, Monsieur le ministre.

Cette mise au point doit être effectuée de manière systématique.

M. le Ministre – …dans l’ancien empire Ottoman. Ces événements tragiques ont laissé une empreinte douloureuse dans l’histoire du XXe siècle. Ils font partie de la mémoire collective de tous les Arméniens, que notre pays, fidèle à sa tradition d’asile, s’honore d’avoir accueillis. La République doit veiller à perpétuer le souvenir et à témoigner de sa solidarité à l’égard des Français d’origine arménienne. C’est pourquoi le génocide arménien a été reconnu dans la loi du 29 janvier 2001. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Nous retrouvons un cadre partisan qui peut enclaver le débat via le fallacieux prétexte du résultat déjà acquis.

Vous envisagez aujourd’hui d’adopter une proposition de loi tendant à sanctionner pénalement la négation du génocide arménien. Je n’entends pas m’appesantir sur la question de la constitutionnalité de ce texte ; votre rapporteur a eu l’occasion de se pencher sur ce sujet, qui mérite certainement de retenir l’attention. Il suffit, à ce stade, d’observer qu’un doute existe et qu’il sera sans doute nécessaire, si cette proposition de loi va de l’avant, de le lever, le moment venu.

Permettez-moi cependant de rappeler qu’il y a quelques mois, à l’occasion du débat sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005, un consensus s’était dégagé au sein de cette Assemblée quant au rôle du Parlement face à l’histoire. Vous étiez alors convenus qu’il revenait aux historiens, et à eux seuls, d’établir la réalité des événements du passé et de façonner notre mémoire collective… (Murmures)

Ici nous observons une tentative de retourner de manière détournée au cadre initial i.e. avant la reconnaissance du génocide par la France. Le Ministre joue un double jeu diplomatique qui n’est pas forcément négatif en soi, si nous en sommes conscients.

M. François Rochebloine – Allons ! Il ne s’agit pas de refaire l’histoire !

M. Richard Mallié – Venons en à l’essentiel.

M. le Ministre – Il me semble qu’à vouloir s’éloigner de cette règle de bon sens, votre Assemblée prend le risque, une nouvelle fois, d’intervenir dans l’écriture de l’histoire nationale…

M. Jean-Christophe Lagarde – Mais non !

M. Richard Mallié – Cela a été fait en 2001.

M. le Ministre – Nombre d’historiens de renom ont rappelé le danger qui pouvait découler d’une confusion entre l’élaboration de la loi et le travail historique. Soyons-en conscients et prenons garde de ne pas verser de nouveau dans ce travers. Reconnaissons plutôt qu’entre ces deux grandes nations que sont l’Arménie et la Turquie, seul le travail patient et constructif des historiens, fondé sur la réflexion et le dialogue, permettra d’élaborer une mémoire commune, acceptée et reconnue par tous ; une mémoire qui sera, à n’en pas douter, la meilleure garantie de relations sereines et apaisées. (Murmures)

Ce travail s’engage actuellement en Arménie et en Turquie…

Nous observons ici une volonté de mettre la France dans un cadre neutre. Cependant la neutralité ne sert que les bourreaux jamais les victimes.

M. François Rochebloine – Mensonge.

M. le Ministre – Il faut s’en féliciter, et ne pas ménager notre soutien aux efforts en cours pour parvenir à une meilleure prise en compte des sensibilités de chacun.

M. Jean-Christophe Lagarde – Il ne faut pas se laisser endormir par du vent !

M. le Ministre – L’adoption de la proposition de loi qui vous est soumise aujourd’hui, outre qu’elle contredirait la volonté exprimée par le Parlement de ne plus légiférer sur l’histoire (Protestations sur tous les bancs) pourrait compromettre ces efforts et ce processus. N’ayez pas de doute : j’ai toujours pris position pour le respect de la mémoire arménienne. Et, comme beaucoup d’entre vous, j’ai eu l’occasion de faire part à mes interlocuteurs turcs de la nécessité d’accomplir un travail exigeant sur l’histoire et d’œuvrer à la recherche d’une authentique réconciliation. Mais mon souci, aujourd’hui, est d’attirer votre attention sur les conséquences que pourrait avoir l’adoption d’un tel texte…

M. Jean-Pierre Blazy – Lesquelles ?

M. le Ministre – …non seulement pour ce qui concerne la réconciliation turco-arménienne…

M. Richard Mallié – Non au chantage !

M. le Ministre – …mais aussi pour les intérêts de la France et au-delà. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Nous ne devons pas ignorer les risques encourus.

C’est la première fois que l’enjeu économique est considéré comme un argument. En déplaçant le problème du débat historico-politique, le Ministre tente de toucher un autre auditoire mais aussi un autre pays…

M. Jean-Pierre Blazy – Combien de millions d’euros en jeu ?

M. le Ministre – Chaque nation, un jour ou l’autre, a été confrontée à des événements dramatiques, à des zones d’ombre, à une part de tragédie léguée par l’histoire. Il s’agit alors de faire face à son passé et de mener l’indispensable travail de mémoire pour s’engager vers l’avenir.

M. Richard Mallié – La France l’a fait, pourquoi pas la Turquie ?

La comparaison est ambiguë est dangereuse la reconnaissance d’un génocide n’est pas un simple travail de mémoire car la Turquie s’est construite sur ce génocide. Il ne faut donc pas entrer dans ce jeu comparatif.

M. le Ministre – C’est une tâche longue et difficile, qui requiert beaucoup de temps et de courage. Assumer les épisodes douloureux du passé, tel est le travail que doit accomplir la Turquie, même si la Turquie d’aujourd’hui ne saurait être tenue pour responsable des faits intervenus dans les convulsions de la fin de l’Empire Ottoman.

M. le Rapporteur – Là-dessus, nous sommes bien d’accord.

M. le Ministre – Ce travail de mémoire, reconnaissons que les Turcs l’ont déjà entrepris (Exclamations sur tous les bancs). Il faut l’encourager.

La mauvaise foi est de mise mais de manière si grossière que peut-elle apporter ?

Plusieurs députés de divers bancs – Après un siècle !

M. le Ministre – Ainsi les autorités turques ont-elles récemment assoupli l’accès aux archives, ouvrant la voie à un travail conjoint des historiens pour la recherche de la vérité.

Ceci n’est que le résultat factice de l’appareil de propagande turc et rien de plus. Malgré tout cette allusion prouve que le Ministre est dans le dogme turc.

Mme Maryse Joissains Masini – Ça suffit, on ne peut pas laisser dire cela !

M. le Ministre – En septembre, une conférence a rassemblé des historiens et des intellectuels d’horizons variés, qui se sont efforcés de poser les bases d’un examen objectif des événements effroyables de 1915 et 1916. Beaucoup considèrent que cette conférence, soutenue par Ankara, représente un véritable tournant dans la lente appropriation par le peuple truc de cette partie tragique de son histoire.

Mme Maryse Joissains Masini – Nous parlons des Arméniens, pas des Turcs !

M. le Ministre – C’est à la Turquie qu’il appartient de mener le débat et de se réconcilier avec son passé – mais pour se réconcilier, il faut être deux. Or, une nouvelle dynamique semble se créer depuis peu, en faveur du dialogue avec l’Arménie. Il faut donc encourager les contacts entre les deux pays pour favoriser le règlement des différends. Les autorités turques ont d’ailleurs proposé l’an dernier de mener un travail conjoint avec l’Arménie. Sachons appuyer ces efforts, face à la résurgence du nationalisme et à la tentation d’imposer sa loi. Gardons-nous d’agir de façon unilatérale car, quelle que soit la grandeur de la cause que l’on défend, ce n’est pas toujours le meilleur moyen de la servir.

La symétrisation de la procédure n’est jamais au profit de la victime. Sous prétexte de neutralité, nous symétrisons. Mais cela condamne non seulement la victime mais aussi le juge.

Mme Martine David – Ce n’est vraiment pas crédible !

M. le Ministre – La France est l’amie fidèle et loyale de l’Arménie. Elle est l’une des premières nations à l’avoir reconnue comme État et entretient avec elle des rapports denses et nourris. Elle a concouru de toutes ses forces à la stabilité de cette jeune république. Mais la France est aussi l’amie de la Turquie, à laquelle elle a servi d’inspiratrice au moment de l’instauration de la République et avec laquelle elle entretient depuis longtemps des relations fortes, étroites et suivies. Sur le plan diplomatique, nous partageons avec la Turquie le même point de vue sur de nombreux dossiers. Nos relations économiques, culturelles et scientifiques, sans oublier les liens humains tissés au fil des ans, puisque la France accueille plus de 300 000 ressortissants turcs, ont permis d’établir un partenariat durable.

En politique, l’amitié envers tout le monde est à la mode seulement la conséquence est toujours la même : les ennemis deviennent plus agressifs car hors coalition.

Devant cette double amitié, et alors que le souvenir du génocide arménien continue de nous hanter, la France doit conduire une politique de paix et de réconciliation. Elle entretient au demeurant des relations de confiance avec l’ensemble des pays de la région et participe activement au règlement des conflits – je pense en particulier à son rôle de médiation dans le cadre du groupe de Minsk sur le Haut-Karabakh. C’est cet esprit qui doit prévaloir pour encourager les efforts de rapprochement des États. Soyons lucides : le dialogue est à un tournant, mais il reste fragile. Il est important d’en avoir conscience en examinant cette proposition de loi. Nous devons tous nous mobiliser pour soutenir les efforts de modernisation et de dialogue entrepris depuis peu par la Turquie. Nous devons tous avoir à cœur de ne pas encourager le repli sur soi, le nationalisme autoritaire et le rejet des valeurs de progrès et d’ouverture auxquelles nous sommes tous attachés (Exclamations sur tous les bancs). La communauté arménienne de Turquie, tout comme les autres acteurs, l’ont d’ailleurs bien compris.

Plusieurs députés sur divers bancs – Ce n’est pas le sujet !

M. le Ministre – Tous soulignent la nécessité d’éviter toute interférence dans ce dialogue, qui doit trouver son rythme et sa force propre.

M. Patrick Devedjian – Vous n’allez tout de même pas oser faire parler les otages ?

M. le Ministre – La cause arménienne est juste.

Plusieurs députés sur divers bancs – Justement !

M. le Ministre – Elle doit être défendue et respectée. Mais la représentation nationale doit tenir compte de l’intérêt de la France dans le choix des moyens qu’elle emploie (Interruptions). Or, le texte qui vous est soumis serait considéré, qu’on le veuille ou non, comme un geste inamical par la très grande majorité du peuple turc (Vives exclamations sur tous les bancs).

M. Richard Mallié – Non ! Vous ne pouvez pas faire du chantage !

M. le Ministre – Cela ne pourrait manquer d’avoir des conséquences politiques sérieuses…

M. François Brottes – C’est inacceptable !

M. le Ministre – …et d’affaiblir notre influence non seulement en Turquie, mais dans l’ensemble de la région (Exclamations sur l’ensemble des bancs). La Turquie, qui a connu en 2005 un taux de croissance supérieur à 7 %, est pour la France un partenaire de premier plan (Interruptions).

Le discours est toujours le même aussi il provoque toujours la même nausée. Le Ministre semble se trouver à un époque antérieure à 2001. Il est tout simplement hors contexte.

M. le Président – Je vous en prie…

M. le Ministre – De nombreux groupes français y sont installés. Ne nous y trompons pas : nous ne pouvons pas accepter cette proposition de loi. La proximité culturelle, scientifique et artistique qui marque l’histoire de nos deux pays est elle aussi en cause. Pour qui connaît la tradition francophile des universités turques, en particulier à Galatasaray, il n’y a pas de doute à nourrir sur le rayonnement de la France dans ce pays.

Promouvoir les valeurs de la France, c’est aussi savoir faire prévaloir l’esprit de responsabilité. C’est la raison pour laquelle, pour rester fidèle aux principes et aux valeurs qui n’ont jamais cessé de guider l’action de la France depuis des siècles et qui font d’elle aujourd’hui une formidable puissance de paix et de réconciliation, je vous propose de refuser cette proposition de loi (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP).

M. le Président – Nous allons aborder la discussion générale. Pour permettre à chaque groupe de faire intervenir au moins deux orateurs, je demande à chacun de réduire son temps de parole à cinq minutes.(M. François Rochebloine proteste) Si vous voulez parler plus longtemps, Monsieur Rochebloine, tout le monde ne pourra pas s’exprimer. C’est pourquoi j’ai pris cette décision (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Cette décision n’est pas de bonne augure. Elle sera difficile à surmonter si nous avons toujours les mêmes objectifs.

M. Didier Migaud – Je ne peux que regretter d’avoir entendu une fois de plus le traditionnel discours du Quai d’Orsay qui nous est resservi à chaque circonstance. En 2001, nous avons reconnu le génocide arménien. Le Statut de Rome, acte fondateur de la cour pénale internationale, définit le génocide comme « l’extermination physique, intentionnelle, systématique et programmée d’un groupe ethnique, national, religieux ou racial ». C’est une forme extrême de crime contre l’humanité. De très nombreux documents attestent de sa réalité : ce n’est pas nous qui écrivons l’histoire, elle est le fait des hommes. Les historiens l’analysent, les professeurs l’enseignent, nous ne faisons que la constater.

Il nous apparaît indispensable de garder la mémoire de cette tragédie. Si nous avons reconnu le génocide, comment accepter qu’il soit impunément nié sur notre territoire ? Ne serait-ce pas renoncer à ce devoir de mémoire, se montrer complice d’une censure, accepter tout simplement l’histoire officielle établie par ceux-là même qui ne veulent pas reconnaître la réalité ? Certains craignent que cette proposition n’entrave l’exercice de leur profession. Mais, si la liberté de conscience peut être totale, la liberté en elle-même ne peut pas être absolue. C’est le fondement même d’une démocratie que de limiter la liberté de chacun à celle de l’autre. La reconnaissance de la Shoah a-t-elle empêché les historiens de faire leur travail, entravé leurs recherches ? Certainement pas. Et n’oublions pas, comme l’a rappelé Sévane Garibian dans le Monde, que ce qui importe aux juges n’est pas de savoir si ce que dit l’historien est vrai, mais si ses allégations révèlent une intention de nuire ou répondent au devoir d’objectivité et aux règles de la bonne foi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La bataille commence. Le cadre est placé. A présent, nous allons voir se développer les différentes stratégies qui s’appuient sur le dogme, la dissuasion, la perturbation et les frictions.

Nous avons déjà connu cela en 2001, et décidé unanimement de le dépasser, contre l’avis des deux têtes de l’exécutif de l’époque. Permettez-moi de souhaiter aujourd’hui ce même refus de céder aux pressions, la même adhésion au devoir universel de mémoire (Applaudissements sur tous les bancs).

M. François Rochebloine– Vous avez autorisé deux interventions par groupe, Monsieur le Président. Mon ami André Santini m’ayant laissé son temps de parole, je pourrai donc m’exprimer dix minutes.

Une jolie tentative… oratoire.

M. le Président – Monsieur Rochebloine, j’ai le pouvoir de diriger les débats. Vous n’aurez que cinq minutes, comme tout le monde.

M. François Rochebloine – C’est à l’initiative du groupe socialiste, qui y consacre une de ses niches parlementaires, que nous reprenons ce matin le débat sur la mémoire du génocide arménien, débat qui était resté inachevé après l’adoption de la loi du 29 janvier 2001 dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur. Je me permets de vous rappeler, Monsieur le ministre, que cette initiative avait eu lieu dans le cadre d’une niche parlementaire du groupe UDF, dont vous étiez à l’époque le président à l’Assemblée nationale (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe socialiste). Au-delà d’un acte politique et juridique, ce texte souligne les liens de solidarité et d’amitié qui unissent de longue date les peuples français et arménien. Cette loi constitue en effet un geste ô combien symbolique envers notre communauté d’origine arménienne. Notre pays, en rendant ainsi publiquement justice au peuple arménien, resté trop longtemps une victime oubliée, s’est honoré et a renoué avec la tradition humaniste qui a fait sa grandeur passée.

Rappelons que la France, amie de l’Arménie de longue date, a su accueillir, dans les moments les plus sombres, les rescapés des terribles massacres perpétrés dans l’Anatolie de 1915. À partir d’avril 1915, le gouvernement Jeune-Turc a en effet déclenché l’horrible processus d’extermination d’un million cinq cents mille Arméniens de l’Empire ottoman, par des massacres organisés visant la destruction des minorités et préfigurant ce que fut deux décennies plus tard la Shoah. Oui, il y a eu génocide : ce fut le premier du XXe siècle. La responsabilité de l’État turc est directement et indiscutablement engagée, tant du point de vue du droit des gens et d’un ordre juridique certes encore balbutiant que, et surtout, devant l’histoire et la morale collective.

La loi de 2001 fut votée grâce à la mobilisation de parlementaires issus de toutes les sensibilités politiques, mais aussi à la détermination sans faille des organisations arméniennes de France.

Le négationnisme sous toutes ses formes doit être sanctionné. Le devoir de mémoire impose des règles écrites. Hélas, les proclamations ne suffisent pas. Notre droit pénal doit être adapté aux exigences d’un monde où les nouvelles techniques de communication facilitent aussi les dérives. À ce titre, le rapporteur a raison de considérer que la loi de 1881 peut servir de fondement à une disposition inspirée de la loi Gayssot, mettant en jeu la liberté d’expression. Tel était d’ailleurs le sens de la proposition de loi que j’avais déposée dès 1995 pour interdire la contestation de tous les génocides et crimes contre l’humanité. Pourtant, aucune majorité n’a souhaité aborder le sujet depuis, alors qu’il eut été facile de le faire.

Cette proposition de loi nous permettra d’adresser un signal fort aux négationnistes de tout poil à condition que nous menions la procédure à son terme en adoptant un dispositif de sanction réellement efficace.

M. Jean-Christophe Lagarde – C’est bien là le sujet !

Oui, c’est cela tout le problème et le défi de la France.

M. François Rochebloine – L’aspiration légitime du peuple arménien à la liberté, la souveraineté et l’indépendance doit être soutenue. Plus que jamais, le combat pour la vérité continue : menons-le pour défendre nos valeurs humanistes, la démocratie et l’amitié entre les peuples ! Le négationnisme est inadmissible et doit être sanctionné : cette proposition de loi nous en offre l’occasion. Saisissons-la !(Applaudissements sur divers bancs)

Quelque peu faible mais dans le bon sens.

M. le Président – M. Rochebloine a parlé quatre minutes : même avec lui, nous voici dans le droit chemin (Sourires).

M. Frédéric Dutoit – Cette proposition de loi est une avancée incontestable dans le combat incessant à mener pour les libertés et les droits de l’homme. Aujourd’hui, le peuple arménien a recouvré une part de lui-même, perdue il y a quatre-vingt-dix ans. Cette cause me tient particulièrement à cœur. En 1999, quelques mois à peine après la reconnaissance officielle du génocide arménien par l’Assemblée nationale, j’ai d’ailleurs inauguré avec M. Hermier, dans le nord de Marseille, une stèle commémorant l’arrivée des premiers réfugiés arméniens au camp Oddo.

Ce jeudi 18 mai pourrait être historique. Les députés doivent rejeter les pressions inadmissibles, directes et indirectes, dont ils ont été victimes ces derniers temps.

Chacun le sait bien : les génocides, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité sont définis et sanctionnés par des textes de droit national et international. La proposition de loi reconnaissant le génocide arménien – premier génocide du XXe siècle – est enfin devenue loi de la république le 29 janvier dernier. Est-ce un accomplissement ? Je ne le crois pas : si cette loi certes symbolique constitue un progrès pour un peuple martyr, elle n’a hélas aucune incidence juridique et demeurera imparfaite tant que ce crime pourra être impunément contesté.

Il ne s’agit pas d’un cadre arménien mais bien français, d’où l’importance du rôle de l’assemblée.

Grâce à la loi Gayssot, la France sanctionne la négation des crimes contre l’humanité. Or, elle ne peut méconnaître les génocides non reconnus à l’époque : les sanctions doivent également viser leur négation. L’incrimination ne s’applique pourtant pas à des faits commis avant son entrée en vigueur en 1994, et les crimes concernés doivent être attestés par une décision de justice afin que leur contestation puisse être sanctionnée.

Tout le problème provient de la différence de dates. Mais nous devons aussi être conscients que c’est aussi le début de la solution. Car la loi Gayssot même si elle ne peut le faire directement pour le moment, elle sera d’un secours certain prochainement.

L’extension du délit de négationnisme au génocide arménien a ainsi échappé à toute sanction juridictionnelle – d’autant que la Cour internationale de justice et les tribunaux pénaux internationaux sont incompétents en la matière. Actuellement, seule la contestation du génocide juif constitue donc un délit. On entend certaines voix critiquer la loi Gayssot : sa remise en cause est inacceptable alors même que la Shoah continue d’être niée avec morgue par les partisans de l’extrême droite.

Les rescapés d’autres crimes contre l’humanité attendent que nous prenions nos responsabilités pour faire reculer la barbarie. C’est pourquoi l’Assemblée nationale doit élargir la portée de la reconnaissance du génocide arménien en sanctionnant sa négation des mêmes peines qui s’appliquent à la négation de la Shoah. Cette proposition de loi peut être un levier qui renforcera le rôle de la France dans la défense du droit des personnes à leur histoire et du droit des peuples à la justice. Elle lui offrira l’occasion de renouer avec sa vocation universelle à œuvrer pour la vérité et la justice, comme elle l’a fait en votant la loi Taubira à l’origine des récentes commémorations de l’abolition de l’esclavage.

On ne peut nous opposer l’argument selon lequel les hommes politiques ne doivent pas écrire l’histoire : les crimes contre l’humanité sont reconnus comme réalités historiques, et nul historien ne songe aujourd’hui à nier le génocide arménien ou le génocide rwandais.

Plusieurs députés UMP  – Et Staline ? Et le Cambodge ?

M. Frédéric Dutoit – N’éludons pas notre responsabilité d’élus de la nation. Nous devons harmoniser la reconnaissance du génocide arménien avec la sanction de sa contestation. Cette avancée doit, dans le respect de la recherche historique, être étendue à tous les génocides et crimes contre l’humanité – y compris ceux qui pourraient encore advenir et que nous espérons prévenir en organisant la riposte démocratique aux discours de haine.

M. François Rochebloine – Très bien !

M. Frédéric Dutoit – La France est souvent à la pointe du combat pour les droits de l’homme. Elle doit accomplir son devoir de mémoire sans en exclure les sombres périodes de la colonisation ou de la collaboration. C’est de l’ensemble de son histoire qu’elle doit se souvenir, et notamment de toutes les victimes de ses actes les plus condamnables. Elle doit également renforcer son action internationale, Monsieur le ministre, afin de favoriser l’émergence de règles communes, sous l’égide des Nations unies, favorisant le respect des libertés et permettant la reconnaissance sans distinction de tous les génocides – cette ultime atteinte aux droits de l’homme – ainsi que la criminalisation du négationnisme. Elle s’honorerait de délivrer un message universel. Puisse ce jour ouvrir une ère de nouvelles conquêtes pour les droits de l’homme ! (Applaudissements sur divers bancs)

Le point est accordé !

M. Marc Laffineur – Cette proposition de loi est le troisième texte de la niche parlementaire socialiste de cette semaine. Une telle accumulation ne permet pas de débattre dans de bonnes conditions.

M. Jean-Pierre Blazy – Nous n’avons que les niches !

M. Marc Laffineur – Nous regrettons que M. Quilès ait refusé de retirer le texte précédent, et que le président du groupe socialiste ait, en de multiples volte-faces, hésité sur le retrait du présent texte.

Plusieurs députés socialistes – Quelle provocation !

M. Marc Laffineur – Le 29 janvier 2001, la France a officiellement reconnu le génocide arménien par la voix de tous les groupes parlementaires.

M. François Rochebloine – A l’unanimité !

Un détail important !

M. Marc Laffineur – Chacun est convaincu qu’elle l’a fait avec raison. Nul ne peut nier les atrocités dont a souffert le peuple arménien au début du siècle. Nul ne peut nier le million et demi de victimes de ce génocide.

Tous, ici, nous inclinons devant la souffrance subie par le peuple arménien. La France fut l’un des premiers pays à accueillir les rescapés de ce génocide. Je salue nos compatriotes d’origine arménienne, qui ont tant apporté à notre pays.

Chacun a reconnu, lors du débat sur l’article 4 de la loi du 23 février 2005, que ce n’est pas à la loi d’écrire l’histoire – tentation à laquelle l’Assemblée a souvent cédé au cours des quinze dernières années, généralement à raison.

MM. Jean-Pierre Blazy et Bruno Le Roux – Cela n’a rien à voir !

M. Marc Laffineur – Je regrette que le parti socialiste y cède à nouveau pour des raisons qui lui sont propres, malgré les réticences de nombre de ses députés. En effet, les historiens éprouvent de fortes réticences devant l’immixtion de la loi au sein de la recherche. Certes, la loi peut servir à commémorer ou reconnaître…

MM. François Rochebloine et Jean-Christophe Lagarde –Diriez-vous la même chose s’il s’agissait de la Shoah ?

M. Marc Laffineur – …mais faut-il pour autant que le législateur dise aux historiens ce qu’ils doivent faire ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Je pense à MM. Nora et Chaliand, qui ne souhaitent pas une nouvelle intervention du Parlement dans ce débat.

M. Jean-Pierre Blazy –Ils se trompent !

M. Marc Laffineur – De nombreux historiens craignent que cette proposition de loi ne revienne à judiciariser le champ de la recherche historique.

A nouveau, le prétexte des historiens est utilisé pour amoindrir le rôle des politiques.

M. François Rochebloine – Vous auriez dû participer aux manifestations de Lyon !

M. Marc Laffineur – Les poursuites engagées contre des chercheurs pourtant reconnus pour leur objectivité l’ont démontré. L’appel au meurtre d’une communauté et l’apologie du génocide doivent évidemment conduire devant les tribunaux. C’est déjà le cas, y compris pour le génocide arménien : notre code pénal est incontestable sur ce point. Mais débattre de l’ampleur des crimes et discuter leur signification ne devrait entraîner de poursuites à l’égard de personne, et surtout pas des historiens. Les tribunaux ne sont pas habilités à délivrer des vérités historiques. Ce n’est pas en légalisant la vérité et en interdisant leur expression que l’on éradiquera les mauvaises idées, mais en les combattant par un enseignement fondé sur le consensus des historiens.

M. le Rapporteur  – Amalgame !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Que sont les mauvaises idées en matière de génocide ?

M. Marc Laffineur – Voilà pourquoi de nombreux députés du groupe UMP sont réservés sur ce texte. Le sujet relève de la conscience de chacun, et chacun sera libre de voter librement. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Ceci n’est pas un problème a priori puisque le génocide est un crime contre l’humanité. Et en ce sens c’est à notre conscience de choisir.

M. François Rochebloine – Provocation !

Mme Martine David – Le 18 janvier 2001, à cette tribune, j’ai fièrement contribué à la reconnaissance officielle du génocide arménien. Je croyais à l’époque que cet acte politique fort permettrait à la mémoire des hommes de donner une sépulture aux victimes qui en furent privées. Résultat d’un long parcours parlementaire, cet acte législatif courageux avait recueilli une unanimité qui fit honneur à notre Assemblée.

Cet acte n’a malheureusement pas empêché certains de poursuivre leur entreprise honteuse de déstabilisation en évoquant une « version arménienne de l’histoire ». Il reste donc à combler un dangereux vide juridique afin que toute négation de la réalité du génocide arménien puisse être justement condamnée. L’actualité récente en a démontré la nécessité. Le 18 mars, s’est déroulée une manifestation à Lyon au cours de laquelle des banderoles et des slogans négationnistes ont été vus et entendus. Avec d’autres, j’avais pourtant mis en garde le préfet de la région Rhône-Alpes contre ces dérapages prévisibles qui ont suscité l’immense indignation de nombre de nos concitoyens. Cet événement montre que les autorités préfectorales ne disposent pas de tous les outils, notamment juridiques, pour intervenir. Un mois plus tard, le 17 avril, le mémorial dédié au génocide de 1915 et à tous les génocides qui devait être inauguré à Lyon a été recouvert de graffitis négationnistes. Cette nouvelle provocation constitue une odieuse injure à la mémoire des victimes et de leurs descendants. Cet acte prouve que l’on ne peut laisser perdurer l’impunité. Dans un État de droit, menaces, invectives et intimidations ne doivent pas empêcher les députés de légiférer.

M. François Hollande -– Très bien !

Mme Martine David – Les événements de Lyon illustrent le chemin qui sépare encore certains acteurs du dossier du véritable respect de la démocratie.

Le droit pénal doit être complété afin que le génocide arménien de 1915, reconnu par une loi de la République, ne puisse plus être contesté, de la même manière que les autres crimes contre l’humanité. En tant qu’élue, je ne peux plus me contenter d’exprimer ma profonde indignation après chaque remise en cause des valeurs républicaines et après chaque menée négationniste. La mémoire ne saurait être instrumentalisée. Elle doit reposer sur un socle commun, incontestable et respecté. Par conséquent, je souhaite que l’Assemblée dépasse ses clivages politiques, résiste aux intimidations et voie plus loin que les intérêts économiques de la France en votant cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe UMP)

M. Roland Blum – Je m’exprimerai au nom de MM. Mallié, Pemezec, Raoult et de tous les membres de l’UMP qui soutiennent cette proposition de loi (Vifs applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP). Son objet est de compléter la loi du 19 janvier 2001 en sanctionnant pénalement ceux qui, à l’avenir, nieront l’existence du génocide arménien.

M. François Rochebloine – Très bien !

M. Roland Blum – Quels sont les arguments qui s’opposent à l’adoption de ce texte ? Tout d’abord, certains objectent qu’il n’appartient pas au Parlement d’écrire l’histoire. En tout état de cause, le génocide arménien répond à la définition de la convention de l’ONU sur le génocide. Du reste, ce débat historique a été clos par la loi du 29 janvier 2001 par laquelle est clairement reconnue la responsabilité de la Turquie dans le génocide arménien de 1915. Ensuite, sur le plan juridique, d’aucuns considèrent que la batterie des textes législatifs est suffisante pour sanctionner le négationnisme. Le rapporteur a parfaitement montré qu’il n’en était rien.

M. Jean-Christophe Lagarde – Très bien !

M. Roland Blum – Enfin, sur un plan politique, cette proposition de loi empêcherait la réconciliation entre Turcs et Arméniens au moment où sont ouvertes des négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Europe et son adoption troublerait les relations diplomatiques et économiques de la France avec ces pays. Chers collègues, nous avons résisté aux États-Unis au moment de la crise irakienne. Ce ne sont pas les Turcs qui vont nous impressionner ! (Vifs applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP, sur les bancs du groupe UDF et du groupe socialiste)

La rhétorique est toujours une arme. Parfois elle sert même les victimes.

M. Richard Mallié – Très bien !

M. Roland Blum – Ils se sont contentés de créer des commissions de réconciliation qui ont toutes échoué. La réalité, c’est que la Turquie n’a renoncé ni au nationalisme ni à l’idéologie d’épuration ethnique.

Mme Maryse Joissains Masini – Très bien !

M. Roland Blum – En 2005, la faculté de médecine d’Istanbul a demandé le rapatriement des restes du docteur Behaeddine Chakir, idéologue du génocide, pour lui faire des obsèques officielles et l’enterrer aux côtés de l’organisateur du génocide, Talaat Pacha, à la gloire duquel a été construit un mausolée. Pour toutes ces raisons, nous serons nombreux à voter cette proposition de loi ! (Vifs applaudissements sur tous les bancs)

Les faits historiques doivent être exploités comme des arguments. Seulement si ces derniers ne sont que formels d’autres faits historiques viennent les contrecarrer. Dans cette bataille le temps est avec nous aussi l’histoire finira par influencer la politique malgré le jeu de celle-ci.

M. le Président – Les représentants de chaque groupe politique s’étant exprimés, la suite de l’examen de cette proposition de loi est reportée à une date qui sera fixée en Conférence des présidents (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe de l’UDF et sur plusieurs bancs du groupe UMP).