181 - Episode 2 : L’occupation de Mycènes et le deuil d’Electre

N. Lygeros

Électre couchée au centre de la scène, Chœur entre.

Chœur 

Dieux, comment pouvez-vous lui infliger un tel sort ? Elle courbe l’échine et supporte l’insupportable.  À Électre, doucement. Électre !  Il s’approche. Dors-tu ?

Électre, couchée

Je me couche à même la terre pour mieux sentir la souffrance. Comme si je pouvais encore percevoir le dernier souffle de mon père.

Chœur

Essaie de vivre, tente d’oublier. Tu ne peux vivre éternellement dans le malheur.

Électre, se redressant mais demeurant assise

Comment pourrais-je oublier ? Le malheur a blanchi mes nuits. Et une  nuit noire s’est abattue mes idées. Le drapeau de l’occupation traverse mon esprit comme la hache qui a fendu le crâne de mon père.

Chœur 

La souffrance durcit ton cœur. Toi, qui étais si douce auparavant…

Électre

Ce n’est pas la douleur qui durcit mon cœur, c’est le sentiment d’impuissance devant le destin, l’impitoyable destin qui écrase les hommes.

Chœur 

Ce sont pourtant un homme et une femme qui ont assassiné ton père, le glorieux Agamemnon.

Électre

La gloire elle-même, n’a pu le protéger du plus odieux des crimes : le crime lemnien.

Chœur 

Moi-même, je ne sais comment expliquer cet acte. Quelle passion a bien pu le pousser à agir ainsi ? Seulement, maintenant, l’important c’est de vivre.

Électre

Hélas, je suis lasse de la vie. Je suis battue par le vent du destin qui souffle sur la terre de mes ancêtres ; et brisée comme un marbre abandonné sur une terre aride, perdue dans le souvenir d’avoir appartenu à l’un des plus beaux temples de la Grèce. Mais le temps des temples est révolu…

Chœur, la coupant 

Même brisés, les temples conservent leur grandeur. Et la patine du temps, ne les jette pas dans l’oubli, elle caresse les traces du passé. La pierre surgit du sol tel un poing qui affirme au monde entier : j’existe !

Électre

Rien de ce que tu me dis ne peut changer ma vie. Mes ennemis sont pervers. Ils ne m’ont pas jetée en prison : je suis libre de souffrir. C’est mon deuil qui a transformé le noir en fer et m’a condamnée à la pire des peines : vivre dans la mort. 

Chœur, au ciel 

Dieux, entendez ces terribles paroles qui sortent de cette bouche et souffrez.

Électre

Dans mon désespoir, chaque instant de mon existence est une délivrance, un pas de plus vers la mort. J’égrène ma vie tel un chapelet sans fil.

Chœur 

Ne Parle pas ainsi, Électre…

Électre

Comment faire autrement ? Je ressens le malheur comme d’autres sentent la fatigue. Il est devenu quelque chose de naturel pour moi. Il m’accompagne tout la journée durant.

Chœur

Comment peut-on supporter une telle compagne ? 

Électre

Comme d’autres portent un vêtement. Ma tenue est un habit d’ombre.

Chœur 

Et pourtant à travers cette ombre, je discerne une lumière implacable.

Électre

Je n’ai de la lumière que la nostalgie.

Chœur 

Ne vois pas le malheur en toute chose. La nostalgie diffère de la mélancolie. La nostalgie engendre le désir, et le désir, le geste de la création. Tu as une âme de lumière, la vue d’une étincelle suffirait à la faire revivre.

Électre

Un seul espoir permet à mon âme de résister à la vie. Un seul, mon frère bien-aimé, Oreste.

Chœur 

Sans doute ! Mais es-tu certaine d’être encore dans sa mémoire ? Il était si jeune lorsqu’il s’est sauvé avec son pédagogue.

Électre

Oreste ne connaît pas le monde de l’oubli. Tout être marqué profondément se remémore l’image d’une blessure qui laisse sur le corps une trace, après la guérison, les êtres se transforment en pensées qui l’habitent pour toujours. Aussi, je suis certaine de lui. Et je suis sûre qu’il viendra me délivrer.

Chœur 

Ainsi, vois-tu, Électre, tu vis encore. Et même si toute absence est une souffrance, Oreste est cette lumière qui t’habite. Il finira par déchirer l’ombre qui noircit tes pensées.

Électre

Je vois encore ses yeux embués et je sens le contact de ses mains qui me tenaient serrée contre lui. Dans son regard d’enfant, contemplant la beauté tragique du monde, j’ai vu mon sauveur. Sa vie, qui depuis son départ doit être tissée de tortures, est le seul remède à mes blessures. Oreste, même mort, viendra me secourir !

Chœur 

Encore un outrage à la puissance des dieux ?

Électre

C’est le crime des tyrans qui est un outrage ! Pourquoi les dieux tardent-ils tant à punir ces meurtriers ?

Chœur 

Les dieux ne sont les maîtres du temps. Mais l’heure et le lieu du châtiment sont déjà fixés, il ne serait en être autrement.

Électre

Crois-tu que Dicé soit si puissante ?

Chœur 

La puissance de Dicé provient des mortels. Plus ils luttent pour la justice, plus elle est puissante. Si  les dieux et les hommes le veulent, un jour, elle surpassera Némésis elle-même.

Électre

Ce jour ne me verra pas vivante. Et je veux que les coupables soient condamnés.

Chœur 

Alors, il te faudra lutter. Ta résistance n’y suffira pas.

Électre

En attendant Oreste, je lutterai contre le temps.

Chœur 

Dans cette lutte, il te faudra des alliés : Oreste est seul. Parle à ta sœur, Chrysothémis, sa présence au Palais…

Électre, le coupant

a changé sa nature. Elle est libre mais son esprit est prisonnier du pouvoir.

Chœur

C’est donc à toi de l’aider en premier !

Le Coryphée sort promptement par le côté droit, accompagné du Chœur.

Électre

Tout est encore possible…