1740 - L’esprit géométrique de Leonardo da Vinci

N. Lygeros

Même si Leonardo da Vinci était doté dès sa jeunesse d’immenses capacités dans le domaine de la géométrie, son esprit ne se développa véritablement que beaucoup plus tard. L’absence de la nécessité d’un rendement en tant qu’ingénieur, le conduisit naturellement à approfondir ses connaissances théoriques. Cependant il ne faudrait pas restreindre celles-ci à une simple illustration de la Divine proportione de Luca Pacioli. Sa recherche est beaucoup plus profonde et c’est sans doute pour cela que le trône fit appel à lui. Une lettre de Pierre de Nuvolaria qui répond à la duchesse de Mantoue, nous le démontre indirectement grâce à la phrase suivante : « Ses études mathématiques l’ont dégoûté de la peinture. »
La lettre date du 4 avril 1501 et elle corrobore les faits en matière de création picturale. Dès cette époque et cela n’ira qu’en s’amplifiant avec les années de recherche, Leonardo da Vinci pénètre de plus en plus profondément dans l’esprit géométrique. Ses études sur l’œuvre d’Archimède vont tout à fait dans ce sens. Mais nous ne devons pas réduire son approche à celle-ci. En effet grâce à l’édition du livre de Giorgio Valla intitulé De expentendis et fugiendis rebus , il découvre aussi Euclide. En réalité c’est tout le monde de la géométrie grecque qui s’ouvre à lui. Il peut ainsi comparer ses propres solutions à des problèmes géométriques, à celles des anciens. Néanmoins, cela ne signifie pas qu’il se contente de les apprendre de manière passive. Au contraire, il les réorganise dans sa noosphère de manière à les compléter ou même les critiquer. Enfin il s’en sert comme appui pour fonder ses raisonnements qui va à l’encontre de la mentalité respectueuse de son époque. Ses connaissances plus profondes lui permettent d’analyser les fondements de la pensée de son époque mais aussi celle des Anciens et là, il juge à la manière d’un mathématicien, la cohérence interne des propos tenus. C’est ainsi qu’il montre dans l’un de ses carnets que contrairement à ce qui est affirmé à son époque, c’est le tétraèdre qui est le plus stable des solides platoniciens et non le cube. Cela lui permet de critiquer les associations et les équivalences arbitraires des anciens mais aussi de ses contemporains. Cela ne veut pas dire qu’il n’éprouve pas de la peine à étudier la géométrie des Grecs. Certes sa capacité à visualiser des objets complexes en perspective lui a considérablement facilité la tâche. La plus grande difficulté se trouve dans l’abstraction des raisonnements qui s’enchaînent pour aboutir à un résultat non immédiat. Ici son ingéniosité fortement teintée par son goût pratique si adéquat dans le monde des ingénieurs, se retrouve dans une situation extrêmement difficile et délicate. Cela permet d’identifier plus finement les capacités de Leonardo da Vinci. Elles s’organisent autour du problème de la visualisation et non de la perception cristallisée. C’est pour cette raison que dans le domaine de la recherche géométrique, son génie a été réduit à l’intelligence d’un surdoué. L’acquisition tardive de connaissances profondes ne pouvait lui permettre d’atteindre que le rang d’érudit ou de savant mais nullement celui de découvreur.