1485 - Une question de mémoire

N. Lygeros

En ce qui concerne la question chypriote et de manière plus générale la question grecque, certains observateurs extérieurs éprouvent du mal à comprendre l’absence d’un véritable processus de réconciliation. Lorsque ces observateurs sont français il est naturel pour eux de faire la comparaison avec les relations franco-allemandes. Cette note a pour but de mettre en évidence non seulement la divergence des cas considérés mais aussi leur caractère incomparable.

La première erreur dans cette comparaison provient du choix de l’ennemi. Contrairement à ce que pourrait suggérer l’existence des deux guerres mondiales, l’Allemagne ne représente pas l’ennemi irréductible de la France. D’ailleurs, comment cela pourrait être possible puisque leurs racines ne sont pas seulement enchevêtrées mais proviennent du même endroit.

La seconde erreur est d’ordre religieux. Il est en effet difficile de mettre en parallèle la différence qui existe entre les catholiques et les protestants et la différence entre les chrétiens et les musulmans. Car la première est interne au christianisme. De plus dans le sud de la France , comme le protestantisme est relativement développé, la différence globale est amoindrie. De plus, les guerres de religion au sens ancien du terme, n’ont plus de sens à l’heure actuelle en ce qui concerne les catholiques et les protestants si nous exceptons le cas de l’Irlande occupée. Tandis que le même thème en ce qui concerne le monde musulman fait apparaître des fers de lance de l’actualité et ce, à un niveau mondial.

Cependant la plus grande erreur dans cette comparaison provient essentiellement d’une méconnaissance de l’histoire moderne de Chypre et de la Grèce. Il est difficile pour ces pays de tenter des procédures de réconciliations alors qu’ils sont encore d’une part sous le joug turc pour Chypre et sous la menace d’un casus belli pour la Grèce. La Turquie avec son invasion de 1974 a créé différents phénomènes négatifs sur l’île de Chypre : 1619 disparus, des milliers d’enclavés réduits désormais à 400 personnes, 200 000 réfugiés qui ne peuvent sur leurs terres et retrouver leur propriété. La Turquie continue à imposer son veto pour l’entrée de Chypre dans toute organisation internationale où elle se trouve. Elle interdit à Chypre son espace maritime et aérien pour des opérations commerciales. Elle est la seule à reconnaître l’état illégal autoproclamé de 1983. Elle refuse de se soumettre aux résolutions de l’ONU. En ce qui concerne la Grèce proprement dite, la Turquie n’applique pas les accords de Lausanne de 1923. Elle maltraite les derniers Grecs qui vivent à Constantinople, Imvros et Ténédos. Elle revendique des îles grecques de la mer Egée pour augmenter son espace vital. (cf. Imia en 1996). De plus, elle concentre toute son armée à la frontière grecque comme elle le fait en face de Chypre et à Chypre, alors que ces pays sont des états-membres de l’Union Européenne qu’elle tente d’intégrer. Enfin elle contrôle la population musulmane qui se trouve en Thrace via son tout puissant consulat afin de créer un élément négatif et justifier son intervention.

Aussi les problèmes ne sont pas simplement une question de mémoire mais une question vitale pour ces peuples.