1377 - Conception et compréhension

N. Lygeros

« Il faut autant que possible penser en esprit profond mais il faut exprimer sa pensée dans la langue de tout le monde » Schopenhauer

Cette idée de Schopenhauer met en évidence la différence qui existe entre conception et compréhension. Celles-ci bien souvent confondues, ne représentent effectivement pas la même entité cognitive. Nous pouvons même affirmer qu’elles sont en réalité complémentairement symétriques par rapport à l’idée. Elles correspondent de cette manière aux positions temporelles avant et après mais de façon croisée. Car la conception est effectuée dans le passé pour le futur alors que la compréhension est une action dans le futur qui comprend le passé. Dans la première phase il est donc possible de faire intervenir l’ensemble des processus formels, avec la plus grande liberté possible, étant donné que le seul but à atteindre c’est l’idée. Dans la seconde phase qui est bien sûr plus médiologique, l’important c’est de faire passer le message. Il s’agit donc de décaler l’ensemble de la codification mise en place par la conception. L’idée afin d’être accessible doit exploiter l’ensemble des structures connues par les récepteurs de l’information analysée. La difficulté provient cette fois de l’inadéquation du langage courant à expliciter des idées complexes formalisées dans un cadre conceptuel. Le problème peut aussi provenir de l’aspect innovant de l’idée qui peut même être révolutionnaire comme c’est le cas en sciences par exemple. Alors dans ce cas il faut développer une véritable stratégie didactique pour l’expliciter car sa description ne suffit plus puisque son abstraction fait obstacle. Cette dualité est tout à fait révélatrice du couple enseignant-chercheur. Cependant du point de vue social nous avons souvent une dichotomie qui se met en place avec une spécialisation de part et d’autre. Cela met en exergue la difficulté de cette double capacité par un même individu. Car cela nécessite des connaissances dans les deux domaines dont les buts sont différents et ce de manière essentielle. Il faut tout de même remarquer que cette double propriété est fréquente pour ne pas dire caractéristique des génies universels même s’il est vrai que ceux-ci sont extrêmement rares dans la population humaine. Dans ce cadre l’idée conçue et expliquée apparaît comme une double singularité de l’espace cognitif et social. Et cela n’est pas sans rappeler la conjecture devenue théorème de Carathéodory sur l’existence d’une singularité double dans un champ continu. Il est vrai que du point de vue de l’explication, nous avons nécessairement un champ continu mais il n’est a priori pas évident que cela soit le cas avec la conception puisque celle-ci peut utiliser tout raisonnement uniforme qui produit une rupture conceptuelle dont la caractéristique principale n’est pas réellement la continuité. Il est plus vraisemblable que nous ayons une asymétrie dans la structure globale de l’idée. Celle-ci ne serait pas si surprenante puisque nous pouvons avoir affaire à une découverte fondamentale. De plus cette asymétrie est nécessaire en termes de complexité puisque la complexité peut augmenter très vite par la conception de l’idée alors qu’elle doit diminuer lentement pour son explication. Le modèle le plus adéquat ne serait donc pas une distribution mais un soliton. Nous voyons donc qu’il serait nécessaire d’affiner notre connaissance de la structure topologique de l’idée afin de mettre en évidence la nécessité du principe énoncé par Schopenhauer.