1350 - L’espace et le temps en stratégie

N. Lygeros

« La détermination de l’espace incombe à la défense, tandis que la détermination du temps appartient à l’attaque. » Carl von Clausewitz.

En analysant la citation de Clausewitz nous remarquons qu’il effectue un transport de structure. En effet la complémentarité de l’espace et du temps est mise en bijection avec celle de l’attaque et de la défense. Cependant ce transport n’est pas simplement ensembliste car le lien qu’il tisse entre les deux structures crée un schéma mental puissant en stratégie. Ce transport s’appuie aussi sur une idée fondamentale en stratégie, c’est que sur le plan opérationnel, la défensive bénéficie d’un avantage intrinsèque dès lors qu’elle a, entre autres, le choix du terrain. C’est sur ce point qu’intervient l’espace stratégique. Le choix du terrain et la sûreté de celui-ci modifie de manière essentielle la structure de la défense. Le plus simple c’est le choix arbitraire bien sûr qui correspond à celui d’une armée en mouvement au cours d’une campagne. Cependant, bien souvent, le défenseur doit tenir un lieu particulier et il doit adapter sa défense à ce lieu. Une fois qu’il a effectué cela, la configuration est bijective avec celle d’un choix arbitraire. Mais cette bijection ne s’effectue qu’a posteriori. Ainsi il est évident qu’une forteresse doit se trouver sur un point culminant afin de dominer le terrain. Néanmoins si le défenseur doit contrôler un lieu de passage comme dans le sud de la France où une plaine immense se trouve au bord de la mer alors il est plus judicieux pour la forteresse d’être le plus enfoncée possible dans le terrain afin d’être la moins visible et de ne pas offrir de cible à l’adversaire, tout en étant placée à une hauteur qui permet d’effectuer des tirs rasants. Ce cas d’école n’est pas abstrait puisque la forteresse existe. Un autre exemple, cette fois négatif, c’est celui de la défense française sur la ligne Maginot. Les Français immobilisèrent les 40 divisions du groupe d’armées n° 2 face aux 19 divisions du groupe d’armées allemand C, avec le résultat catastrophique que tout le monde connaît. Car toute la défense était basée sur un point d’honneur caduque à savoir que l’armée allemande ne violerait jamais la neutralité de la Belgique. Cette idée érigée en axiome a été la perte de l’axiomatique artificielle des Français et la raison de ce désastre. Le choix du terrain n’était pas contextuel aussi avec le changement d’espace effectué pour l’attaque à qui appartenait déjà le temps la déroute était inévitable. Cela montre aussi que nous avons affaire à des conditions nécessaires pour l’attaque et la défense. Cela démontre indirectement qu’au plan le plus élevé à savoir celui de la grande stratégie, la défensive n’est pas seulement l’état du plus faible comme nous pourrions le penser, elle est, aussi, l’état naturel de la puissance dominante comme le fait justement remarquer l’analyste Coutau-Bégarie. Car cette dernière recherche la stabilité tandis que l’attaque recherche l’instabilité. Et à nouveau, nous avons une autre complémentarité qui renforce le schéma mental initial puisque cette fois il est complété du point de vue dynamique et non seulement statique.