135 - La conjecture mathématique : une transgression gnoséologique

N. Lygeros

Les mathématiques, de par leur cohérence, créent un monde deconnaissances. Chaque lemme, chaque théorème est une avancée, uneextension de ce monde. Et les contours de ce monde en création, quin’ont rien de régulier, dépendent directement des domainesmathématiques auxquels ils sont associés.

Naturellement les découvertes se font à la frontière de ce mondeabstrait car il s’agit de l’endroit le plus périlleux, dans le sens oùle chercheur n’est pas certain d’obtenir un résultat. Par contre, sicelui-ci est obtenu il sera sinon révolutionnaire du moins original.

Un des outils les plus intéressants utilisé dans cetteexploration-création, c’est la synthèse. En effet la puissanced’organisation de ce procédé peut engendrer, du point de vueheuristique, une idée de généralisation qui servira de base à laconception d’une nouvelle conjecture.

Dans ce cadre, deux catégories de conjectures sont particulièrementefficaces. Nous leur donnerons les noms suivants : conjecture desublimation et conjecture de transcendance. Comme elles nécessitenttoutes les deux une activité importante du point de vue cognitif,elles ne sont pas accessibles à l’intuition naturelle. Par exemple, lacélèbre conjecture de Syracuse n’appartient à aucune de cescatégories.

La conjecture de la première catégorie (sublimation) est réaliséelorsque le mathématicien entrevoit certains points-clefs qui luipermettent de construire une stratégie de démonstration. Nousretrouvons ce même type d’approche au jeu d’échecs avec lescombinaisons qui sont opposées aux positions. Cette manière d’aborderun problème nouveau permet au chercheur de ne pas se noyer dans desdétails techniques (à l’instar d’un galet qui fait des ricochets surl’eau…). Ainsi il n’est pas obligé de passer par toutes les phasesdu développement de la future démonstration. D’où le nom de conjecturede sublimation. C’est à cette catégorie de conjecture qu’appartientl’approche d’Euler pour trouver la valeur de la fonction dzéta aupoint deux (cf. notre article : Pancalisme en Mathématiques. Thoth,16, 8/1999). Enfin lorsqu’un individu utilise et exploite courammentcette catégorie de conjecture pour exister dans l’espace cognitif, ilest vraisemblable qu’il ait le niveau de la première phasefondamentale (cf. M-classification. Gift of Fire, 108, 8/1999).

La conjecture de la deuxième catégorie (transcendance) est encore plusfondamentale que celle de la première. Cette fois le procédé desynthèse est beaucoup plus profond et nécessite de plus vastesconnaissances et pas exclusivement d’un domaine. Et là, le chercheurn’utilise pas seulement une thèse locale mais plutôt une théorieglobale. De cette réflexion naît un mouvement qui débordelittéralement les techniques standards. Ainsi ce mouvement permet deconcevoir une idée hors de portée du monde des connaissancesd’alors. D’où le nom de conjecture de transcendance. C’est à cettecatégorie de conjecture qu’appartient l’hypothèse de Riemann. Enfinlorsqu’un individu utilise et exploite couramment cette catégorie deconjecture pour exister dans l’espace cognitif, ilest vraisemblable qu’il ait le niveau de la deuxième phasefondamentale (cf. M-classification. Gift of Fire, 108, 8/1999).