1348 - L’attrition en tant que stratégie de destruction

N. Lygeros

Ce qui est toujours surprenant pour les non initiés, c’est que la stratégie même militaire puisse avoir des répercussions dans des contextes nullement militaires mais simplement critiques. Ainsi l’attrition en tant que stratégie de destruction peut être utilisée afin d’éliminer une structure précise sans que celle-ci soit nécessairement pratique dans le sens simple du terme.

En réalité le processus qui régit la lutte pour la reconnaissance du génocide des arméniens correspond point par point à la notion d’attrition. Cela provient du fait que l’ennemi ne peut être combattu de manière conventionnelle puisque son élimination directe est tout simplement inaccessible en raison du contexte. Le peuple arménien face à l’appareil étatique et militaire turc n’a pas d’autre choix que de s’organiser afin d’obtenir un affaiblissement graduel de l’ennemi par l’accumulation de résultats partiels aussi bien offensifs que défensifs. Dans le premier cas, nous avons les reconnaissances successives par des États. Dans le second cas, nous avons les parades juridiques devant les tentatives turques de minimiser un crime contre l’humanité. Les deux aspects sont nécessaires même si le premier semble plus constructif du point de vue de l’extérieur. Seulement pour le peuple arménien et pour l’ensemble des peuples opprimés par ce régime militaire chacun de ses aspects est un exemple à suivre. Car chacun de ces aspects est un pas dans la conquête de ce but ultime que représente l’élimination du racisme. Car il s’agit bien de cela au niveau de l’humanité. Il ne suffit pas de dire que c‘est intolérable : il faut agir et lutter activement contre le génocide de la mémoire. Certes, il s’agit d’une bataille diachronique qui dépasse de loin la dimension humaine, individuelle. Mais c’est sans aucun doute cela qui lui donne toute sa valeur éthique. Le peuple arménien opère une usure mécanique qui est le résultat d’une stratégie de destruction progressive de l’appareil de propagande turc. Car c’est bien lui l’ennemi de cette cause. En remettant en cause l’histoire, le génocide de la mémoire se base sur l’inertie de la masse et l’inconscience des hommes étrangers à cette cause. Seulement nulle personne ne peut être totalement étrangère à un génocide. Car un génocide c’est un crime imprescriptible contre l’humanité. Et chacun d’entre nous appartient à cette humanité. C’est pour cette raison que le combat pour la reconnaissance du génocide des arméniens est si important à nos yeux. Ce n’est pas un cas ponctuel mais un cas générique. Aussi la tactique arménienne pour combattre le révisionnisme turc doit être renforcée afin de ne pas laisser le temps à l’adversaire de s’organiser activement en biaisant les hypothèses initiales. Le processus d’attrition est certes efficace mais il n’en demeure pas moins lent. De plus, il ne s’adapte pas facilement à de nouvelles configurations. Car il ne faut pas se leurrer les résultats partiels qui ont été obtenus en ce qui concerne la reconnaissance du génocide des arméniens seront tout simplement anéantis si la Turquie entre dans l’Union Européenne sans avoir reconnu le génocide.